Je sors du train qui me ramène de Lausanne où j’ai déjeuné, comme je vous l’avais dit vendredi matin au téléphone, avec M. Moderow et avec M. Martin Hill (Grande-Bretagne), assistant spécial de M. Trygve Lie. Voici ce que j’ai à vous dire au sujet de notre entretien.
l. Ces messieurs sont d’accord pour attribuer à la prochaine visite du Secrétaire général des Nations Unies une grande importance, voire même une importance décisive.
2. Ils sont unanimes également à parler du tempérament impulsif de M. Trygve Lie. Ils nous donnent donc le conseil de ne pas nous écarter des sujets traités et d’éviter, dans la mesure du possible, des discussions de politique générale.
3. Il existe, à ne pas douter, divers courants au secrétariat des Nations Unies, l’un que j’appellerai favorable à New York, l’autre que je baptiserai favorable à Genève.
Le parti de Genève attend beaucoup de l’impression que le Palais des Nations peut produire sur M. Trygve Lie, ainsi que de toute l’ambiance de sa visite à Berne les 2 et 3 août prochains.2
4. Le séjour de M. Trygve Lie en Suisse fera l’objet d’un paragraphe spécial dans le rapport d’ensemble qu’il adressera sur son activité à la deuxième Assemblée générale des Nations Unies, convoquée à New York pour le 23 septembre prochain. Ce passage revêt donc pour nous une réelle importance.
5. Mes interlocuteurs pensent que la conversation pourrait porter sur les quatre points ci-après:
- A. Question de l’utilisation inconditionnelle du Palais des Nations à Genève, aussi bien en ce qui concerne les organes des Nations Unies que l’activité de ceux-ci.
M. Trygve Lie vous demandera notamment si vous souscrivez à l’interprétation que M. Gygax lui a donnée le 1er juillet 1946 du «Communiqué» du Département politique du 24 juin (voir annexe 1: rapport de M. Gygax).3
- B. Ces messieurs sont d’avis que le Conseil fédéral n’a pas fait connaître jusqu’à présent de façon publique son désir de voir les Nations Unies s’installer à Genève.4
Ils m’ont rappelé la lettre que M. Calonder a adressée en 1919 à M. Georges Clemenceau, président de la conférence de la paix, pour lui faire savoir que le Conseil fédéral verrait avec satisfaction la Suisse être choisie comme siège de la nouvelle organisation internationale (annexe 2).5
Un geste analogue pourrait-il être fait en 1946?
- C. Mes interlocuteurs voudraient également que vous fassiez entendre, au cours de la conversation, que vous reprenez pour votre compte une déclaration de M. Perréard, qui figure à la page 28 des procès-verbaux de la conférence de Kehrsatz (annexe 3).6
Ils estiment en effet que notre accord avec l’Organisation internationale du Travail7 va au-delà de celui que nous avons conclu avec les Nations Unies8 et ils souhaiteraient être mis au bénéfice d’une sorte de clause «de la nation la plus favorisée».
- D. Le Consulat général de Suisse à New York continue à délivrer des visas ordinaires aux fonctionnaires des Nations Unies qui se rendent en Suisse. M. Martin Hill m’a montré son passeport.
Ils seraient sensibles à une déclaration de votre part dont les termes pourraient être ceux-ci (c’est le Secrétaire général qui parle dans son rapport à l’Assemblée):
«M. Petitpierre m’a donné l’assurance que, pour faciliter les voyages des fonctionnaires du secrétariat entre New York et Genève, les instructions nécessaires avaient été données au Consulat général de Suisse à New York de délivrer des visas diplomatiques, sur demande des services compétents du secrétariat, mais sans considération de la nature du passeport.
- E. Enfin ils m’ont demandé de rédiger un projet de communiqué que je pourrais vous apporter mardi ou mercredi si vous me faites l’honneur de m’appeler à Chaumont9 et qui rendrait compte, dans leurs grandes lignes, des conversations de Berne.
6. Je profite de ce message pour vous remettre un petit compte rendu d’une visite que M. Snow m’a faite vendredi 26 juillet pour m’expliquer que le gouvernement britannique verrait avec beaucoup de sympathie la Suisse être membre des Nations Unies, qu’il va appuyer la candidature de quelques États non membres et que, s’il ne nous pousse pas à adhérer, c’est parce qu’il comprend notre position spéciale (annexe 4).10
7. J’annexe enfin à mes lignes un relevé établi à fin juillet 194611 des sommes que la Suisse a dépensées pour des œuvres de secours et de reconstruction, indépendamment des 250 millions qui ont fait l’objet des accords de Washington.12
8. Je pense vous intéresser en vous communiquant la liste des personnes qui feront partie de la suite de M. Trygve Lie (annexe 6).13
Je m’excuse de ce rapport écrit un peu à la hâte, vous demande de présenter mes hommages à Madame Petitpierre, vous souhaite un repos bienfaisant et vous prie d’agréer, Monsieur le Conseiller fédéral, l’assurance de ma haute considération et de mon respectueux dévouement.