dodis.ch/318
Le Commandant en Chef de l’Armée, H. Guisan, au Chef du 1er Corps d’Armée, J. Borel1

SERVICE ACTIF ET VIGILANCE

Secret

1. Votre lettre No. I/19768-BO/ro. du 1. 6. 452 a retenu toute mon attention. Je vous remercie de m’avoir fait part de vos préoccupations qui sont en grande partie les miennes.

Avec vous, je crains en effet que, si les Russes ont sur l’Europe les visées que vous tenez pour vraisemblables et s’ils mettent en œuvre les moyens énormes que nous supposons, la Suisse, cette fois-ci, ne puisse éviter d’être entraînée dans le conflit. Je crains aussi avec vous, que ce conflit ne s’ouvre, du côte russe, avec une supériorité de préparation redoutable.

Cette perspective me préoccupait déjà bien avant l’armistice. C’est pourquoi j’ai examiné avec le Chef EMGA, le moyen de parer à la menace et lui ai prescrit, dès le début de cette année, d’entreprendre l’étude d’un plan de concentration qu’il m’a présenté avant l’exercice de St. Gall sur la base d’une hypothèse plus générale que celle du thème de cet exercice – plan dont j’ai approuvé le principe. D’autres études seront faites, bien entendu, autant qu’il paraît nécessaire.

2. La campagne de presse et le mouvement d’opinion qui se dessinent, chez nous, en faveur d’une démobilisation au sens le plus large et à un rythme accéléré, m’inquiètent autant que vous, C’est pourquoi je viens de confirmer au Conseil fédéral ma volonté de ne pas assigner un terme trop rapproché au service actif, mais de le fixer, sauf circonstances imprévues, à la date du 20 août3. Et, par «circonstances imprévues», j’entends celles qui pourraient nous amener, éventuellement, à prolonger l’état de service actif au delà de cette date.

Mais il ne faut pas se faire d’illusions: ce n’est pas quelques dizaines de milliers d’hommes de plus ou de moins qui modifieront, maintenant et dans les semaines à venir, le degré de notre préparation à toute éventualité. J’estime au contraire que, sur ce point, une large détente est permise et nécessaire en ce moment. C’est celle que nous avons réalisée en grande partie.

3. En revanche, ce qui compte, à mon avis, c’est:

1) de conserver intactes les installations principales qui doivent nous permettre à tout instant de mobiliser vite et dans les meilleures conditions, avec la souplesse nécessaire pour réaliser des concentrations diverses.

2) d’avoir un SR vigilant, dont les méthodes s’adaptent à la situation politique nouvelle, et qui travaille en liaison plus étroite avec les autorités civiles;

3) de lutter, par une campagne de presse et par tous les moyens dont nous disposons pour influencer l’opinion, contre l’affaiblissement de la volonté de défense et toute tentative de démoralisation de l’Armée;

4) d’assurer, dans la mesure où cela dépendra du Commandement actuel de l’Armée, – si les circonstances nous permettent de le faire autour du 20 août – un passage sans solution de continuité du régime actuel à celui qui sera institué en vertu de la loi de juin 1939 et d’entreprendre aussitôt que possible la modernisation progressive de l’Armée.

C’est ainsi que, partageant votre avis, je ne considère pas ma tâche comme terminée – au contraire: ma circulaire du 4 juin4 vous le montrera – jusqu’au moment où j’aurai pu remettre le commandement en chef à ceux qui seront chargés de l’assumer après moi.

Je vous serais reconnaissant de préciser, le cas échéant, l’objet de vos préoccupations, et de me présenter les suggestions pratiques que vous jugeriez bon pour parer au danger, interne ou externe, tel qu’il vous apparaîtrait au cours des semaines à venir.

1
Lettre (Copie): E 5795/90.
2
Cf. dodis.ch/319 et E 5795/380.
3
Cf. la lettre du 4 juin 1945 du Général H. Guisan au Président de la Confédération, cf. E 5795/380.Le service actif prit fin le 20 août 1945.
4
Cf. E 27/14192/10.