dodis.ch/1639
Notice du Département politique1

NOTICE À L’INTENTION DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ETRANGÈRES2 AU SUJET DES AVOIRS FRANÇAIS BLOQUÉS EN SUISSE

I.

Les engagements que nous avons pris à l’égard de la France à ce sujet sont, brièvement résumés, les suivants:

1) Dans l’accord du 8 mars 19453 (dit accord Currie), nous avons fait la déclaration suivante: «Le Gouvernement suisse est d’accord pour se concerter avec les Gouvernements de chacun des pays dont les biens et avoirs sont bloqués, avant que les mesures de contrôle applicables à ce pays ne soient abolies ou relâchées».

Les mots «se concerter» («to consult with») ont donné lieu à une divergence d’interprétation bien connue.

De plus, dans ce même accord du 8 mars 1945, nous avons pris l’engagement de recenser, pour nos propres besoins, les avoirs étrangers bloqués dans notre pays. Ce recensement n’a, en fait, pas été effectué pour les avoirs français, en raison notamment de la multiplicité des tâches incombant à l’Officesuisse de compensation. D’autre part, à la suite de la conclusion de l’accord de Washington4 et des arrangements avec les autorités américaines au sujet du déblocage des avoirs suisses aux Etats-Unis5, le recensement des avoirs français ne répond plus à un besoin.

2) Lors des pourparlers qui ont précédé la conclusion de l’accord financier franco-suisse du 16 novembre 19456, la Délégation française a demandé la levée du blocage des avoirs français dans notre pays. Cependant, d’après la proposition française, seuls les avoirs déclarés aux autorités françaises auraient été libérés. En fait, les Français tenaient fort peu au déblocage mais beaucoup plus à l’assistance fiscale. La Délégation suisse a répondu que si nous débloquions les avoirs français en Suisse, nous le ferions complètement et sans condition, ce que la France voulait précisément éviter à tout prix. On finit par se mettre d’accord sur un texte qui prévoit le maintien, en principe, du blocage des avoirs français; ceux-ci peuvent cependant être transférés en France par l’intermédiaire de la Banque Nationale, si le détenteur des avoirs le désire. Il s’agit de l’art. 5 du Protocole confidentiel à l’accord financier, ainsi stipulé:

«Dans le cadre du régime institué par l’arrêté du Conseil fédéral du 6 juillet 19407, les autorités suisses autorisent:

1) La libre utilisation des avoirs liquides en francs suisses des intermédiaires agréés français pour tous paiements en Suisse.

2) Le versement soit au compte de la Banque de France chez la Banque Nationale Suisse, soit au compte d’un intermédiaire agréé français des avoirs liquides en francs suisses appartenant à des personnes résidant dans la zone franc, sur simple demande des titulaires adressée aux détenteurs desdits avoirs.

Par avoirs liquides, on entend les avoirs en compte et revenus échus de toute nature ainsi que le produit de la réalisation éventuelle de tous investissements français en Suisse, quelle que soit la date à laquelle les avoirs ont été ou seront constitués et quel que soit le lieu de leur dépôt.»II.

En principe, le Conseil fédéral est d’avis que la levée des mesures de blocage instituées à l’égard des avoirs de différents pays doit s’effectuer le plus rapidement possible, pour autant que des circonstances spéciales découlant de la guerre n’en demandent le maintien. Signalons dans cet ordre d’idée que le blocage des avoirs néerlandais8, indo-néerlandais9, russes10, yougoslaves11, danois12, grecs13 et polonais14 a pu être levé. Le déblocage des avoirs autrichiens, tchécoslovaques et hongrois est envisagé15.

Pour les raisons indiquées ci-dessus, le blocage des avoirs français revêt cependant un caractère très particulier. Il est vrai que sur la base de l’accord du 8 mars 1945 que le Gouvernement français y ait donné son accord (notre interprétation des mots «se concerter»). Nous pourrions justifier cette décision d’autant mieux que dans l’esprit des arrangements Currie il s’agissait de maintenir le blocage des avoirs étrangers dans notre pays pour éviter que le territoire de la Suisse ne soit utilisé pour la disposition, la dissimulation ou le recel des biens pris pendant la guerre illégalement ou sous l’empire de la contrainte. Or, depuis la fin de la guerre, toutes mesures utiles ont été prises à cet égard (échange des billets de banque français, arrêté sur la revendication des biens spoliés, accord de Washington, certification des avoirs suisses aux Etats-Unis).

Considéré cependant sous l’angle général de nos relations avec la France et de l’engagement pris lors de la conclusion de l’accord financier du 16 novembre 1945, il ne serait certes pas opportun de procéder à la levée du blocage des avoirs français sans être au préalable assurés que du côté français cette mesure ne soulèverait pas une réaction trop violente. Or, d’après les divers renseignements que nous possédons, il est certain que la France considérerait le déblocage pur et simple de ses avoirs en Suisse comme un geste particulièrement inamical. Les conséquences pourraient s’en ressentir de façon fâcheuse sur les nombreuses questions actuellement en suspens avec notre grand voisin (nationalisations, dommages de guerre, créances pour les frais d’internement etc.).

D’ailleurs au cours de la récente réunion de la Commission mixte francosuisse, qui s’est tenue à Berne du 13 au 17 janvier dernier, la Délégation française nous a reproché de n’avoir pas procédé au recensement des avoirs français comme nous nous y étions engagés par l’accord du 8 mars 1945. Elle ne nous a pas caché que si ce recensement avait été effectué, elle pensait que nous en aurions communiqué le résultat au Gouvernement français. Si l’on songe à la situation particulièrement difficile dans laquelle se trouve la France au point de vue de ses finances, on peut comprendre sa politique à l’égard des avoirs privés de ses ressortissants à l’étranger. Au fur et à mesure que la situation s’améliorera, ce problème deviendra également moins brûlant; si à ce moment là les questions en suspens auront pu être réglées de façon satisfaisante, un déblocage pourra être envisagé.

1
(Copie): E 2001 (E) 1/322. Paraphe: LE.
2
Rédigée par A. Hay, cette notice est discutée lors de la séance des 19 et 20 février 1947 de la Commission des Affaires étrangères du Conseil national, E 2800/1990/106/1.Cf. aussi DDS, vol. 16, doc. 111, dodis.ch/1960.
3
Cf. DDS; vol. 15, No 391.
4
Cf. table méthodique du présent volume: Relations financières générales.
5
Cf. DDS, vol. 16, doc. 103, dodis.ch/1957, doc. 118, dodis.ch/1958.
6
Cf. dodis.ch/1778. Sur les pourparlers, cf. notamment E 2001 (E) 2/569, 608, 611; E 7110/ 1973/135/14.
7
Cf. DDS, vol. 13, doc. 336, dodis.ch/47093.
8
Cf. PVCF No 877 du 29 mars 1946, E 1004.1 1/467.
9
Cf. PVCF No 1543 du 14 juin 1946, E 1004.1 1/470.
10
Cf. PVCF No 1809 du 12 juillet 1946, E 1004.1 1/471.
11
Cf. PVCF No 1926 du 25 juillet 1946, E 1004.1 1/471.
12
Cf. PVCF No 2250 du 3 septembre 1946, E 1004.1 1/473.
13
Cf. PVCF No 58 du 7 janvier 1947, E 1004.1 1/477.
14
Cf. PVCF No 3008 du 29 novembre 1946, E 1004.1 1/475.
15
Pour la question du recensement des biens en Suisse des victimes de l’action nationalesocialiste, cf. la notice interne du DPF du 21. August 1947, dodis.ch/2004.