dodis.ch/13014
Le Chef du Département militaire, P. Chaudet, au Conseil fédéral1

COMMENTAIRES SUR L’ACHAT DE MIG 15 EN TCHÉCOSLOVAQUIE2

Personnel/Secret

M. Oprecht, de Zurich, Conseiller national, a dit au Chef du Département militaire qu’un membre de la représentation diplomatique de Tchécoslovaquie en Suisse l’aurait prié d’informer les autorités compétentes que son pays était prêt à livrer à la Suisse un avion de combat Mig 15 pour des essais de vol. Cette démarche tchèque serait en rapport avec une intervention de M. Oprecht, qui avait suggéré au Conseil national que le Département militaire envisage aussi l’achat ou la fabrication sous licence d’avions provenant des pays de l’Est. M. Oprecht attend maintenant que les organes compétents se prononcent à ce sujet.

A la fin de l’année dernière, la commission pour l’acquisition d’avions militaires avait également émis le vœu que le Département militaire se procure aussi des avions dans les Etats communistes. En discutant librement avec l’Attaché militaire de l’URSS3, le Col. div. Primault a demandé si une démarche visant à l’acquisition d’avions russes aurait des chances d’aboutir. 1 ou 2 mois plus tard, on lui répondit qu’une telle demande serait examinée avec bienveillance. Le 24 février et le 1er mars cependant, il fallut que le Ministre Zehnder écrivît à l’Ambassadeur de l’URSS4, tandis que le Col. Daniel en faisait de même envers l’Attaché militaire russe, pour préciser que la Suisse n’avait entrepris aucune démarche officielle pour acheter des avions en Russie. Cette réponse négative fut très mal accueillie des Russes, qui seraient prêts, semble-t-il, à nous livrer du matériel de guerre de tout genre à des prix avantageux.

D’une manière générale, nous sommes fort peu renseignés sur la production de l’industrie aéronautique russe. Les quelques avions que les Russes ont montrés à l’étranger ou chez eux, ainsi que les 2 Mig 15 qui ont pu être examinés de près, l’un qui a atterri en Corée du Sud et l’autre sur une île danoise, ont révélé des innovations techniques intéressantes. On a pu constater, entre autres, que le Mig 15 sacrifiait tout à la légèreté, notamment l’autonomie et même la sécurité. Cet avion a été en effet conçu comme chasseur pur destiné avant tout à intercepter les gros bombardiers américains. Le Mig 15, dont les performances à grande altitude étaient supérieures à celles du «Sabre» américain qui lui fut opposé en Corée, est aujourd’hui considéré comme dépassé. Ce type d’avion a été amélioré sensiblement et il en existe aujourd’hui plusieurs modèles différents (Mig 15bis, Mig 15 biplace d’entraînement, Mig 15 chasseur tous-temps). Un nouveau type du même constructeur ayant un moteur plus puissant et une forme aérodynamique plus fine a été baptisé Mig 17. Enfin, les Russes ont montré en 1955, lors de leur meeting de Tushino, le dernier type de cette série, le Mig 19 (?), qui semble être un avion supersonique comparable aux «Supersabre F-100» présentés par les Américains à Zurich et à Berne.

A part les Mig mentionnés, qui sont tous, par leurs performances, des chasseurs d’interception purs, les Russes possèdent un certain nombre d’avions chasseurs-bombardiers, comme p. ex. le «La-17», qui peuvent être comparés aux chasseurs-bombardiers européens et américains ou à notre P-16.

Il résulte de cette énumération résumée que le Mig 15, aujourd’hui dépassé, n’entrerait pas en considération pour une acquisition éventuelle. Il n’en reste pas moins vrai qu’un examen plus détaillé et un essai de vol de cet avion seraient intéressants pour nous. Les autres types d’avions plus modernes le seraient cependant bien davantage.

A notre connaissance, seul le Mig 15 est en construction sous licence en Tchécoslovaquie. Il nous semble par conséquent qu’il serait plus logique, pour autant que nous nous intéressions aux avions russes, ce qui, du point de vue militaire et technique, est certainement le cas, que nous nous adressions «à la source» et non au satellite qui n’est, en l’occurrence, qu’un «client» lui aussi.

Le Département militaire a intérêt à connaître le matériel de guerre russe. Le principe de la neutralité permet l’acquisition de matériel de guerre à l’Est aussi bien qu’à l’Ouest. Quant à savoir si des échanges commerciaux et autres avec l’URSS et les autres Etats orientaux seraient opportuns, c’est là une question qui ne doit pas être étudiée du seul point de vue militaire, mais aussi politique.

En ce qui concerne la proposition tchèque qui nous a été transmise par le Conseiller national Oprecht, le Département militaire est d’avis que le Chef du Département devrait répondre à M. Oprecht que les organes compétents étudieront la question des essais du Mig 15 dès que la Tchécoslovaquie nous aura présenté une offre officielle. La Suisse aurait intérêt à obtenir des renseignements plus précis sur les avions des pays communistes. – Autant que possible, il faudrait éviter des dérangements inutiles lorsqu’on examine en Suisse le matériel de guerre étranger. Les essais d’avions étrangers sont toujours coûteux et comportent certains risques. C’est pourquoi l’on a toujours envoyé jusqu’à présent, avant d’acheter du matériel de guerre dans les pays occidentaux, des délégations qui l’inspectent sur place. Lorsque ce premier examen permet de conclure qu’un achat peut être envisagé, des essais techniques et autres sont entrepris en Suisse. Il faudrait procéder de même avec le matériel de guerre provenant des pays orientaux. D’ailleurs, le Département militaire croit que l’acquisition du Mig 15, déjà dépassé, n’entre pas en ligne de compte; en revanche, il serait intéressant d’étudier de plus près les particularités techniques de cet appareil.

Du côté de l’URSS, il ne faudrait plus rien entreprendre pour le moment, mais attendre le voyage à Moscou de la délégation d’officiers suisses5.

En conséquence, le Département militaire a l’honneur de présenter au Conseil fédéral la proposition suivante:

Le présent rapport est approuvé.

1
Propositon: E 5001(F)-/19/R3590.
2
Cf. aussi DDS, vol. 20, doc. 72.
3
Ph. I. Gontcharenko.
4
P. I. Erchov.
5
Une délégation de trois officiers dirigée par le colonel E. Primault se rendra en Union soviétique du 22 juin au 2 juillet 1956, afin d’assister à des démonstrations d’avions militaires et à des visites d’usines organisées par l’armée de l’air soviétique, cf. les rapports rédigés à l’issue du voyage, E 5560(C)1975/46/329.