dodis.ch/13226
Le Chef de la Délégation suisse auprès de l’OECE, G. Bauer, au Secrétaire général du Département politique, A. Zehnder1

INTÉGRATION ÉCONOMIQUE EUROPÉENNE: NOUVEAUX PROJETS

Confidentiel

Ainsi que j’ai cru utile de vous en informer dans les rapports que j’ai eu l’honneur de vous faire tenir au sujet des problèmes énergétiques posés aux économies nationales de l’Europe occidentale, et de celui, en particulier, de l’énergie atomique (voir lettres de la délégation des 21 et 28 février 19552), la ratification des accords de Paris par le Conseil de la République en France, doit marquer, à Paris comme dans d’autres capitales telles que Bruxelles, La Haye, Luxembourg et Rom e, la reprise d’anciens projets d’intégration européenne ou le lancement de nouvelles idées à ce sujet. Bien qu’il ne faille pas s’attendre avant les fêtes de Pâques à des initiatives de ce genre, il ne paraît pas, à votre délégation, inutile d’attirer, d’ores et déjà, votre attention sur les «centres nerveux» de ces nouvelles tentatives d’intégration, ainsi que sur les secteurs visés.

En premier lieu, il importe de souligner qu’après les expériences infructueuses de la CED ou de la Communauté politique européenne, les leaders de l’intégration paraissent convaincus de la nécessité et de l’opportunité de tenter leurs futurs et nouveaux efforts dans le secteur économique.

C’est principalement cette constatation qui m’incite à vous en écrire avant même que d’être en possession de projets concrets.

S’il semble bien y avoir un accord implicite sur le fait que de nouvelles tentatives devraient porter sur le plan économique ou technique, on peut observer, par ailleurs, une émulation, pour ne pas dire une compétition, entre les positions qui s’esquissent à Paris et celles qui surgissent à Bruxelles et à La Haye.

En effet, à Paris, on doit s’attendre à voir les autorités françaises, la ratification des accords de Paris obtenue, prendre unilatéralement, ou lors d’une réunion du Conseil des Ministres de la CECA ou de son Assemblée commune en mai 1955, une initiative, qui viserait le secteur énergétique, y compris l’énergie nucléaire.

Bruxelles et La Haye, de leur côté, ont entrepris à l’échelon des fonctionnaires, leurs premières conversations et l’on parle déjà d’une rencontre de MM. Spaak et Beyen, au lendemain des fêtes de Pâques. D’après des informations confidentielles recueillies à Paris, les idées, non encore réconciliées, de MM. Spaak et Beyen tendraient, elles, à relancer l’idée d’une intégration économique générale.

En dépit de son caractère provisoire et de sa valeur aujourd’hui purement informatoire, je crois nécessaire de vous adresser en annexe, au titre strictement confidentiel, un projet de création d’une zone européenne de libre échange3. Cette proposition émane de l’administration belge. Elle est en possession de M. Spaak, et ferait l’objet de prochains entretiens entre les Ministres des Affaires étrangères de Bruxelles et de La Haye.

Si M. Spaak et Beyen devaient faire leur le projet, la question, qui est, d’ores et déjà, débattue entre les fonctionnaires compétents, deviendrait alors actuelle, celle de savoir si la zone prévue de libre échange comprendrait les six Pays de la CECA ou si cette proposition serait soumise à l’OECE, pour examen et décision.

L’information préliminaire pour la «relance» des idées d’intégration économique européenne ne serait pas complète si je ne vous signalais pas que les problèmes de transport semblent devoir faire, avec le secteur énergétique, l’objet d’une deuxième tentative d’intégration. Le cours pris par les récentes discussions au Conseil des Ministres de la CECA, au sujet du problème posé par les disparités des frêts fluviaux, représente plus qu’un indice à cet égard. La session ordinaire de l’Assemblée commune de l’organisme de Luxembourg en mai pourrait être, elle aussi, marquée de nouveaux efforts dans cette direction. Je me réserve de vous faire tenir avant Pâques un rapport consacré à cette question des transports4.

Quel que soit le sort qui sera fait à ces nouvelles tentatives, les mois qui vont venir se caractériseront par les forces centrifuges qui seront mises à nouveau en action.

En effet, plutôt que de poursuivre la marche en avant, étape par étape, l’on préférera, d’une part, passer, peut-être prématurément, à une convertibilité limitée de la livre sterling et, d’autre part, recourir à la formule, diamétralement opposée à la première, celle de l’intégration économique par voie de secteur et dans un espace géographique limité.

Votre délégation ne manquera pas de suivre avec la plus grande attention, cette évolution. Un proche avenir révélera la vanité ou la réalité de ces nouvelles tentatives d’intégration économique européenne.

1
E 2001(E)1970/217/364. Ce rapport a été envoyé en copie à P. Dupont de la Division des Affaires politiques, à la Division des Organisations internationales, à H. Schaffner, directeur de la Division du commerce et au Secrétariat de la Division du commerce.
2
Cf. E 2001(E)1970/217/383.
3
Annexe non reproduite, cf. (dodis.ch/13314).
4
Cf. le Rapport No 42/3 du 26 avril 1955, non reproduit.