dodis.ch/15208
Le Secrétaire général du Département politique, R. Kohli, à la Direction de l’Administration militaire fédérale1

Matériel de Guerre. Programme de fabrication d’Hispano-Suiza

Confidentielle

Nous avons l’honneur de nous référer à votre lettre du 14 avril2 relative au programme de fabrication des usines suisses d’Hispano-Suiza à Genève.

Dans le plan d’ensemble qui vous a été soumis et qui couvre divers pays une frappées d’un embargo (Liban, Arabie Séoudite et RAU)3, soit restreintes

(Indonésie)4.

Vous nous demandez d’examiner s’il ne conviendrait pas de revoir notre politique en matière d’exportations de matériel de guerre pour y apporter plus de souplesse. Vous relevez à ce sujet que la situation a évolué depuis l’époque à laquelle l’embargo ou les mesures restrictives ont été décrétées. L’état de tension s’étant maintenant étendu à la plupart des régions du globe, vous êtes d’avis que notre position devrait être révisée en tenant compte, d’une part de la nécessité de maintenir chez nous une industrie des armements viable, d’autre part du fait que les restrictions apportées en Suisse favorisent des fournisseurs étrangers.

Nous n’avons pas manqué de soumettre à une étude approfondie les divers problèmes posés par les plans de fabrication d’Hispano-Suiza5. Nous nous rendons compte que la situation internationale actuelle crée de nouvelles difficultés pour les exportations de notre industrie d’armements et qu’il convient de vouer une attention toute particulière aux mesures prises dans ce domaine. Nous ne croyons toutefois pas que les circonstances nous permettent d’envisager un allégement des dispositions en vigueur. Il nous semble plutôt que notre politique de neutralité devrait nous inciter à rester prudents devant l’accroissement de la tension internationale. Il suffit de rappeler à cet égard la réaction provoquée par les rumeurs relatives à une livraison d’armes au Congo6 depuis la Suisse, rumeurs qui se sont d’ailleurs révélées fausses.

L’extension de la guerre froide, les dangers qu’elle entraîne dans tous les domaines et dont les repercussions se font également sentir dans notre pays, nous a engagés à participer toujours plus activement aux efforts entrepris sur le plan international pour arrêter les conflits et en éliminer les causes. L’action que nous déployons dans ce sens se trouverait entravée si, parallèlement, nous fournissions aux antagonistes les moyens d’accroître leur potentiel militaire.

Au cas où vous saisiriez le Conseil fédéral de la question, nous ne pourrions pas, du point de vue politique, nous rallier à une proposition visant à modifier fondamentalement la pratique suivie en matière d’autorisations pour les exportations. Nous ne méconnaissons pas pour autant l’intérêt qu’il y a pour notre pays à maintenir son industrie d’armement. Toutefois, dans ce domaine, comme dans d’autres, il importe de trouver dans l’intérêt supérieur du pays, une solution qui tienne compte des différents éléments en cause.

Partant de ce principe, nous avons déjà, malgré les risques que nous encourions du point de vue politique (réaction des Pays-Bas)7, renoncé à nous opposer à ce que la maison Hispano-Suiza exporte à partir de 1959 par contingents échelonnés, du matériel de guerre vers l’Indonésie pour une valeur d’environ 10 millions de francs suisses. D’autre part, Contraves s’est vu accorder l’année dernière l’autorisation pour une importante fabrication d’armes

(4,8 millions de francs suisses) également destines à l’Indonésie. Etant donné que les livraisons d’Hispano-Suiza précédemment autorisées seront terminées dans le courant de l’été, nous pourrions consentir à ce que cette maison s’engage par un nouveau contrat portant sur une valeur de 11,5 millions à la condition que les livraisons soient effectivement, comme cela est prévu au programme de fabrication, échelonnées sur la période allant de l’automne 1961 à l’année 1965 et qu’il soit expressément stipulé qu’elles n’interviendront pas à une échéance antérieure. En outre, nous devons évidemment nous réserver de nous opposer à l’exportation, le moment venu, si la situation politique de l’Indonésie se modifiait d’ici-là.

En revanche nous ne pouvons pas donner notre assentiment aux plans établis pour le Liban, l’Arabie séoudite et la RAU. Le conflit entre les Etats arabes et Israël8, bien qu’il soit toujours latent, n’a pas perdu de son acuité, il s’est au contraire avivé ces derniers temps. Il est vrai que l’on pourrait établir une distinction entre des pays comme le Liban et la RAU. Mais nous sommes obligés, pour ne pas créer de précédent, de suivre la même politique à l’égard de tous les Etats arabes. Des exceptions ne peuvent entrer en considération que s’il s’agit de pièces de rechange ou de livraisons en relation avec des contrats conclus avant l’embargo, comme ce fut le cas récemment pour le Liban9.

Dans le même ordre d’idées, l’évolution de la situation en Afrique du Nord ainsi que les négociations d’Evian10 nous engagent également à maintenir une attitude prudente.

Les raisons que nous venons de vous exposer ne nous permettent, à notre regret, pas de donner suite à la demande d’Hispano-Suiza en ce qui concerne les Etats arabes11.

1
Lettre: E 5001(G)1972/47/109. Paraphe: PO.
2
Cf. la lettre de A. Kaech à R. Kohli du 14 avril 1961, E 2001(E)1976/17/483.
3
Cf. DDS, vol. 20, doc. 36, dodis.ch/10920 et le PVCF No 1854 du 8 novembre 1955, E 1004.1(-)1000/9/583.
4
La Direction de l’Administration militaire informe le Service technique dans une lettre du 20 février 1957, E 2001(E)1970/217/244: Pour information au Département politique (ad p.B.51.14.21.20 Indonésie). Par lettre du 8 février 1957, nous avons invité le Service technique à ne pas donner suite pour le moment à des demandes de fabrication ou d’exportation pour l’Indonésie. La lettre au Service technique du 8 février 1957, n’a pas été retrouvée.
5
Cf. la lettre de M. Petitpierre à P. Chaudet du 27 janvier 1961, E 2001(E)1976/17/483.
6
Sur la question de l’exportation d’armes au Congo, cf. E 2001(E)1976/17/381.
7
Sur les réactions des Pays-Bas concernant la question d’exportation de matériel de guerre vers l’Indonésie, cf. DDS, vol. 21, doc. 21 et E 2001(E)1972/33/297.
8
Sur la question du conflit entre les Etats arabes et Israël et l’exportation de matériel de guerre vers ces pays, cf. le rapport de A. R. Ganz à M. Petitpierre du 3 juin 1958, E 2300(-)1000/716/456 (dodis.ch/16212), le rapport politique de E. Bisang à M. Petitpierre du 21 octobre 1958, E 2300 (-)1000/716/459 (dodis.ch/15286) et la lettre de F. Kappeler à R. de Wattenwyl du 21 janvier 1960, E 5155(-)1971/202/100 (dodis.ch/15779).
9
Sur la question de la livraison de matériel de guerre pour le Liban, cf. E 2001(E)1972/33/298 et E 2001(E)1976/17/524.
10
Sur la question des négociations d’Evian, cf. DDS, vol. 21, doc. 140.
11
Les mesures en vigueur envers les Etats arabes n’ont pas connu d’assouplissement, cf. la lettre de A. Kaech à Hispano-Suiza du 3 juin 1961, non reproduite.