dodis.ch/16061
Le Chef du Département politique, M. Petitpierre, au Chef du Département militaire, P. Chaudet1

Acquisition d’Armes nucléaires

Secret

J’ai bien reçu votre lettre du 21 mars2 concernant des sondages qui pourraient être effectués auprès des Gouvernements américain, anglais et soviétique en vue de l’achat d’armes nucléaires. Vous prévoyez aussi des démarches auprès des Gouvernements français et suédois.

Tout en comprenant votre souci de ne pas perdre de temps et votre désir de doter notre armée d’armes nucléaires, je pense que le moment n’est pas encore venu de procéder aux sondages et démarches que vous envisagez.

L’interdiction des armes atomiques demeure un problème hautement politique. Deux conférences internationales s’en occupent actuellement. Elle sera discutée à la conférence au sommet qui doit se tenir en mai prochain3.

Des démarches de notre part ne seraient aujourd’hui pas comprises. Elles susciteraient de vives critiques à l’étranger, où l’on nous accuserait de vouloir saboter les conférences en cours et où nous nous exposerions à être ridiculisés puisque nous donnerions l’impression de vouloir imiter la France en cherchant à entrer dans le club atomique. Sur le plan intérieur, on nous reprocherait de vouloir prévenir la votation sur les initiatives populaires en suspens4 et nous compromettrions le résultat de cette votation.

Enfin et surtout ces démarches se heurteraient vraisemblablement à un échec auprès des trois puissances atomiques auxquelles nous nous adresserions, à moins que – ce qui serait encore pire – seule l’URSS se déclare prête à entrer dans nos vues, pour nous mettre dans l’embarras.

Les risques et les inconvénients de sondages entrepris actuellement l’emportent largement sur les avantages très problématiques que pourrait en retirer notre défense nationale.

Je suis donc tout à fait opposé à ce que le Département militaire entreprenne aujourd’hui quoi que ce soit dans ce domaine. Peut-être pourriez-vous soumettre la question au Conseil fédéral à l’occasion d’une de ses prochaines séances5.

1
Lettre: E 2800(-)1967/59/36.
2
Cf. DDS, vol. 21, doc. 72.
3
Convoquée à Paris, le 16 mai 1960, la conférence réunissant autour du Général de Gaulle, D. Eisenhower, N. Khrouchtchev et H. Macmillan a été ajournée à la première rencontre, à cause de la tension provoquée par l’abattage d’un avion-espion américain.
4
Cf. DDS, vol. 21, doc. 72, note 8.
5
Cf. PVCF-D du 5 avril 1960, E 1003(-)1970/344/4 (dodis.ch/16077). A l’issue de la discussion du Conseil fédéral, le Président de la Confédération, M. Petitpierre, tire la conclusion que, dans les discussions sur la réforme militaire, le chef du Département militaire devra déclarer que le Conseil fédéral tient des sondages pour inopportuns actuellement, mais que la décision de 1958 subsiste. Il est entendu que les deux départements intéressés ne feront pas de sondages à l’étranger sans une nouvelle décision du Conseil fédéral. Cf. aussi PVCF No 585 du 5 avril 1960, E 1004.1(-)1000/9/636.1: Auf Grund einer vom Vorsteher des Militärdepartements eingeleiteten Aussprache wird beschlossen: Die unter Ziffer 3 des Bundesratsbeschlusses vom 23. Dezember 1958 betreffend Abklärung der Möglichkeiten zur Beschaffung von Atomwaffen vorgesehenen Abklärungen bei ausländischen Stellen dürfen erst auf Grund eines späteren Bundesratsbeschlusses vorgenommen werden. Le 5 avril 1960, après la séance du Conseil fédéral, M. Petitpierre rédige une nouvelle lettre pour son collègue P. Chaudet, qui remplace celle qu’il lui a adressée le 30 mars, cf. DDS, vol. 21, doc. 73, et où il a modifié ou biffé les passages jugés trop énergiques. Nous reproduisons ci-dessous la nouvelle version de la lettre – datée toujours du 30 mars 1960 – à partir du 4ème paragraphe: Des démarches de notre part ne seraient aujourd’hui pas comprises. Elles susciteraient de vives critiques à l’étranger, où l’on pourrait nous accuser de vouloir saboter les conférences en cours. Sur le plan intérieur, on ne manquerait pas de nous reprocher d’ignorer les initiatives populaires en suspens et nous pourrions compromettre ainsi le résultat des votations sur ces initiatives. Enfin et surtout, ces démarches se heurteraient vraisemblablement à un échec auprès des trois puissances atomiques auxquelles nous nous adresserions. Cf. la lettre (classée secrète) de M. Petitpierre à P. Chaudet du 30 mars 1960, E 2800(-)1967/59/36.