J’ai bien reçu votre lettre du 21 mars2 concernant des sondages qui pourraient être effectués auprès des Gouvernements américain, anglais et soviétique en vue de l’achat d’armes nucléaires. Vous prévoyez aussi des démarches auprès des Gouvernements français et suédois.
Tout en comprenant votre souci de ne pas perdre de temps et votre désir de doter notre armée d’armes nucléaires, je pense que le moment n’est pas encore venu de procéder aux sondages et démarches que vous envisagez.
L’interdiction des armes atomiques demeure un problème hautement politique. Deux conférences internationales s’en occupent actuellement. Elle sera discutée à la conférence au sommet qui doit se tenir en mai prochain3.
Des démarches de notre part ne seraient aujourd’hui pas comprises. Elles susciteraient de vives critiques à l’étranger, où l’on nous accuserait de vouloir saboter les conférences en cours et où nous nous exposerions à être ridiculisés puisque nous donnerions l’impression de vouloir imiter la France en cherchant à entrer dans le club atomique. Sur le plan intérieur, on nous reprocherait de vouloir prévenir la votation sur les initiatives populaires en suspens4 et nous compromettrions le résultat de cette votation.
Enfin et surtout ces démarches se heurteraient vraisemblablement à un échec auprès des trois puissances atomiques auxquelles nous nous adresserions, à moins que – ce qui serait encore pire – seule l’URSS se déclare prête à entrer dans nos vues, pour nous mettre dans l’embarras.
Les risques et les inconvénients de sondages entrepris actuellement l’emportent largement sur les avantages très problématiques que pourrait en retirer notre défense nationale.
Je suis donc tout à fait opposé à ce que le Département militaire entreprenne aujourd’hui quoi que ce soit dans ce domaine. Peut-être pourriez-vous soumettre la question au Conseil fédéral à l’occasion d’une de ses prochaines séances5.