Lors des visites de courtoisie que j’ai faites, comme il se doit, aux membres du Gouvernement algérien, la plupart de mes interlocuteurs en ont profité pour formuler des demandes d’assistance technique. A cette occasion, j’ai recueilli certaines impressions générales qu’il me paraît utile de vous communiquer:
1. Comme vous le savez, il y avait en Algérie en 1960 une population européenne de plus d’un million d’individus; elle n’en compte plus, aujourd’hui, que 150’000. D’une manière générale, la très grande majorité des activités supérieures dans tous les domaines étaient entre les mains des Européens. C’est ainsi, par exemple, qu’en 1960 sur un total de 22’800 emplois dans le secteur des finances, des banques et des transactions, 19’600 étaient occupés par des non-musulmans. Dans le domaine de l’hygiène, de la santé, de l’éducation, du culte et de l’administration, la situation était un peu meilleure puisque sur 282’000 emplois, il n’y en avait que 111’000 entre les mains de non-musulmans. Quant à l’agriculture évoluée, elle était composée à 40% de non-musulmans. Enfin, le tiers des commerçants étaient d’origine européenne. Ces quelques chiffres suffisent pour illustrer les difficultés avec lesquelles le Gouvernement algérien se trouve aux prises après le départ massif des Européens. Partout, on manque de cadres et si on veut éviter une détérioration grave, sinon un effondrement des structures économiques et administratives du pays, il faut remédier à tout prix et le plus rapidement possible à cette pénurie.
L’assistance technique suisse devrait donc, à mon sens, réserver une fraction importante des moyens qu’elle entend consacrer à une aide à l’Algérie à la formation des cadres: octroi de bourses pour des études dans nos universités, dans nos écoles spécialisées (Technicum, Institut Forestier, Ecole Hôtelière), paiement d’un complément de salaire aux enseignants suisses prêts à s’expatrier etc. Il me paraît d’autant plus nécessaire de faire un effort spécial dans ce domaine que la langue d’enseignement dans plusieurs de nos hautes écoles est le français3. En outre, l’épineuse question de la formation préparatoire ne se pose pas en général pour les Algériens qui reçoivent dans leur pays d’origine une formation préparatoire comparable à celle qui est donnée dans les pays occidentaux. Si donc la Commission fédérale des bourses pour les étudiants étrangers devait en arriver, comme le souhaitent certains de ses membres, à concentrer l’octroi de bourses sur quelques pays, l’Algérie devrait être de ceux-ci.
2. Le Gouvernement algérien paraît bien décidé à améliorer les condi - tions de vie de la masse agricole. Il s’agit donc pour lui de recréer des centres de formation, de réorganiser le crédit agricole et de trouver les cadres nécessaires (ingénieurs agronomes, administrateurs, comptables, mécaniciens)4 pour que l’essai de réforme agraire que l’on est en train d’expérimenter sur un million de hectares de terres vacantes réussisse.
L’assistance technique suisse dans ce domaine, auquel le Président du Conseil5 donne un droit de priorité, serait donc particulièrement indiquée (aide dans le secteur forestier, mise à disposition d’experts dans le secteur de la viticulture, de l’élevage etc.)6.
3. Dans le domaine de l’information également nous pouvons utilement fournir à l’Algérie une aide technique précieuse. L’Algérie indépendante cherche actuellement sa voie. Elle désire se libérer des formes anciennes et les remplacer par des solutions nouvelles et originales. Son programme législatif est vaste: élaboration de la constitution, de lois individuelles sur la nationalité, sur les chapitres du droit civil, sur les questions sociales etc. Ayant du respect et de l’admiration pour notre pays, elle s’intéresse tout spécialement à nos institutions. Elle nous demande de la documentation. Les textes dont elle estime avoir besoin devraient être mis à disposition rapidement et les documentations sollicitées devraient être soigneusement préparées.
4. Enfin, il y a quelques secteurs particuliers où nous sommes tout spécialement qualifiés pour fournir une certaine forme d’aide, par exemple la cartographie, le tourisme, la création de centres de formation horlogère etc7.
C’est en m’inspirant des considérations qui précèdent que j’ai transmis aux services suisses compétents quelques-unes des nombreuses demandes qui m’ont été adressées depuis mon arrivée à Alger. La plupart de ces requêtes contenaient certains points auxquels nous pouvons, me semble-t-il, rapidement donner suite. Je me plais notamment à espérer qu’il sera fait droit dans des délais raisonnables aux demandes de documentations qui m’ont été faites8 et que les textes sollicités seront acheminés à Alger par des voies aussi rapides que possible9.