dodis.ch/35631
Notice du Chef de la Division des organisations internationales du Département politique, E. Thalmann1

DROITS DE L’HOMME ET PORTUGAL

1. Arrière-plan présumé de l’inscription à l’ordre du jour

Cette question a été mise à l’ordre du jour de l’assemblée pour des raisons qui nous paraissent assez obscures2.

La commission des pays européens non membres présidée par M. le Conseiller national Hofer se préoccupe depuis longtemps du respect des droits de l’homme dans les pays de l’Est qu’elle a attaqués parfois très vivement3.

La commission passe pour être un obstacle à la coexistence pacifique et au rapprochement du Conseil de l’Europe et des pays de l’Est qui voient d’un mauvais œil ses activités.

La commission a, au sein du Conseil de l’Europe, des adversaires qui voudraient mettre fin à ses activités. Il est possible que la commission «s’attaque» maintenant au Portugal pour rétablir un certain équilibre entre régimes «de droite et de gauche».

Quoi qu’il en soit et sans nous mêler aucunement des querelles intestines de l’assemblée, il est certain que les initiatives de l’assemblée dans le domaine des droits de l’homme ont un caractère publicitaire assez marqué, et, hélas, peu ou pas de suites sur le plan pratique. Les gouvernements attaqués s’en irritent, mais le poids politique de l’assemblée dans le monde n’est pas assez grand pour qu’ils songent à se conformer à ses vœux. Quant aux gouvernements des États membres, ils répugnent en général à s’immiscer dans les affaires intérieures d’autrui. Le cas de la Grèce est différent; la Grèce défiait ouvertement les dispositions du Statut et de la Convention européenne des droits de l’homme4, textes auxquels elle était partie.

2. Position du DPF à l’égard de l’inscription à l’ordre du jour de la question portugaise

Il faut reconnaître qu’en Europe occidentale tout au moins les problèmes de sauvegarde des droits de l’homme ont tendance à dépasser le cadre national et à intéresser l’ensemble de la communauté internationale5. C’est là une évolution irréversible et dont on ne peut que se féliciter quand elle aboutit à une amélioration réelle de la protection des droits de l’homme par le biais du droit international (c’est la raison pour laquelle, par exemple, la Suisse a participé en 1968 à la conférence des droits de l’homme à Téhéran6 parce qu’en dépit de certaines outrances politiques, la conférence a tout de même donné une certaine impulsion à l’étude du droit humanitaire). En revanche, les initiatives de caractère publicitaire ou purement politique, contre tel ou tel pays en particulier, ne contribuent en général en rien aux progrès du droit conventionnel et sur le plan pratique n’améliorent pas le sort des individus. Elles vont plutôt à des fins contraires.

L’assemblée consultative va plus loin à l’égard du Portugal qu’à l’égard des pays de l’Est:

Le 10 juillet 1969, le Bureau de l’assemblée a fait droit à la requête de la commission des pays européens non membres d’envoyer un rapporteur au Portugal (M.Goëss7, Autriche ÖVP). Celui-ci sera accompagné par M. Gratz (Autriche SPÖ), rapporteur de la commission des questions juridiques. Cette mission, prévue «pour octobre afin de coïncider avec les élections portugaises, a été reportée à mars 1970, étant donné que les autorités portugaises n’ont pas encore précisé leur position sur cette visite»8.

La commission des pays non membres a aussi inscrit à son ordre du jour le 24 mars un «exposé éventuel de M. Soarès, un des dirigeants de l’opposition au Portugal»9.

Le Département politique a comme règle de ne pas s’immiscer dans les affaires de l’assemblée ou de vouloir influencer nos délégués qui agissent sous leur propre responsabilité.

Quelque avis que l’on puisse avoir sur le régime portugais, l’initiative de l’assemblée n’est opportune ni au point de vue juridique, ni au point de vue politique. Le Portugal n’est nullement tenu de recevoir une mission d’enquête, annoncée pour le surplus avec maladresse. Cette immixtion dans ses affaires intérieures ne peut probablement que renforcer le camp des adversaires d’une libéralisation du régime et accentuer l’isolement diplomatique du Portugal.

Or il s’agit d’un pays ami, membre de l’EFTA et qui au surplus est déjà ex posé à des attaques incessantes aux Nations Unies. Il serait inopportun d’aggraver encore les difficultés très réelles du Portugal en hurlant avec les loups alors que vraisemblablement une politique de coopération et de rapprochement du Conseil de l’Europe et du Portugal dans le domaine technique – politique qui est déjà menée à l’égard de l’Espagne et de la Yougoslavie et qui est tentée à l’égard des pays de l’Est – aurait à long terme plus d’effets concrets sur la libéralisation du régime. (À la différence de la Grèce, le Portugal n’a mené aucune attaque de front contre les principes incorporés dans le Statut du Conseil de l’Europe).

Pour l’instant, il n’est pas possible de prédire le sens des rapports qui seront présentés à l’assemblée. Celle-ci a le choix entre une résolution – texte qui n’engage que l’assemblée – et une recommandation au Comité des ministres lequel est tenu de répondre à l’assemblée. Nous espérons que l’assemblée renoncera à adopter une recommandation sur le Portugal, car le Comité des ministres ne pourrait vraisemblablement pas y donner suite et l’opinion publique tant nationale qu’internationale (NationsUnies, etc.) verrait probablement dans ce refus une défense de la politique du Portugal alors qu’il s’agit seulement en fait du désir de ne pas créer de conflits superfétatoires.

P. S. Nous apprenons à l’instant de Strasbourg que les rapporteurs du Conseil de l’Europe n’ont pas pu se rendre au Portugal, les autorités portugaises n’ayant pas donné leur agrément.

1
Notice: CH-BAR#E2003A#1984/84#367* (o.121.47). Rédigée par F. Pometta.
2
Cf. le projet d’ordre du jour de la Commission des pays européens non membres de l’Assemblée consultative du Conseil de l’Europe du 6 mars 1970, CH-BAR#E2003A#1984/84#360* (o.121.360.Uch).
3
Sur la situation des droits de l’homme en Union soviétique, cf. DDS, vol. 25, doc. 54, dodis.ch/35679 et doc. 82, dodis.ch/35535, point 1.
4
Sur la position de la Suisse concernant la Grèce, cf. DDS, vol. 25, doc. 6, dodis.ch/35520, en particulier note 2.
5
Sur la question de la signature de la Convention européenne des droits de l’homme, cf. DDS, vol. 25, doc. 62, dodis.ch/37053, en particulier note 2.
6
Cf. DDS, vol. 24, doc. 80, dodis.ch/33245.
7
Annotation dans le texte original: M. Goëss avait soumis en septembre 1969 un rapport préliminaire sur le Portugal aux conclusions très modérées. En janvier 1970 cependant, le Portugal a été critiqué assez vivement au moment du débat sur l’EFTA.
8
Cf. le programme des activités futures de la Commission des pays européens non membres de l’Assemblée consultative du Conseil de l’Europe du 12 février 1970, CH-BAR#E2210.6B#1985/230#65* (731-4o.0).
9
Annotation dans le texte original: M. Soarès a été exilé à São Tomé et condamné à maintes reprises par les autorités portugaises.