dodis.ch/35757 Notice du Chef-suppléant du Service politique ouest du Département politique, E. Brunner1

ENTRETIENS AVEC M. SCHUMANN. INTÉGRATION

Aspect politique

1. L’idée politique que nous nous faisons de l’Europe de demain, c’està-dire d’une Europe où les États auront conservé leur identité nationale et où l’apport diversifié de chacun d’eux à l’édifice commun sera la condition d’un développement harmonieux, se recouvre dans une large mesure avec les conceptions françaises de l’avenir de notre continent. Dans ce domaine-là, nous n’aurons aucune peine à être compris et encouragés. Néanmoins, il serait bon de fixer quelques formules qui prouveront à nos interlocuteurs français que nous savons où nous allons et que nous avons, quant à notre rapprochement avec le Marché commun et notre place en Europe, une philosophie politique articulée et un comportement constant.

2. Il y aurait lieu en premier d’insister sur la vocation européenne de la Suisse, sur son désir de contribuer à sa façon à la construction européenne; cela veut dire, en préservant sa neutralité, qui est un des gages de son indépendance. Il y aurait lieu en outre d’insister sur l’importance que nous attachons à une Europe forte qui aurait retrouvé son influence dans le monde. Ce sont là des idées chères aux politiciens français d’aujourd’hui nourris de formules gaulliennes.

3. La valeur exemplaire de la solution suisse pour les autres pays neutres d’Europe2 doit aussi être relevée. Il faut insister sur une certaine responsabilité dont nous sommes conscients non seulement envers l’Autriche3 mais aussi envers la Finlande. Ces pays souffrent de certaines hypothèques que nous connaissons tous et n’ont dès lors pas la même liberté de mouvements avec le Marché commun que nous-mêmes. Il en résulte qu’il leur serait beaucoup plus facile politiquement de prendre l’accord que nous négocierons avec les «Six»4 comme moule de leur propre projet car, en suivant notre exemple, ils obtiendraient du même coup une caution envers leurs voisins quelque peu ombrageux.

4. Pour rester neutres, ce qui est apparemment le désir de tous en Europe, il nous faut aussi avoir les moyens de cette neutralité, c’est-à-dire l’asseoir sur une économie viable, ce qui suppose le maintien et le développement des liens de toutes sortes et toujours plus nombreux non seulement avec nos voisins immédiats mais avec nos partenaires traditionnels, les «Six» aujourd’hui, les «Dix» demain. C’est pourquoi l’accord évolutif est nécessaire car un accord minimum, en raison du dynamisme de l’Europe, deviendra très vite anachronique.

5. Au cours de ces dernières semaines, au gré des initiatives politiques qui se multiplient, l’histoire diplomatique européenne connaît une accélération évidente. L’Accord de Berlin, dont la France est signataire, laisse entrevoir dans un délai rapproché la Conférence de sécurité5. En d’autres termes, ces prochains mois verront l’Europe organiser la détente, qui est le premier volet du triptyque du Général de Gaulle. Dans cette perspective, un accord d’un type spécial, conforme aux impératifs de notre identité nationale, aux règles du GATT6, limité peut-être au départ mais susceptible d’évolution, constituerait un élément positif dans la construction européenne occidentale sans pour autant – et cela est particulièrement important aujourd’hui – aller à l’encontre du nouvel esprit paneuropéen qui semble devoir se lever.

6. Il nous apparaît qu’il y a aujourd’hui convergence entre les intérêts de l’Europe qui s’organise entre l’Ouest et l’Est, de celle de Bruxelles qui s’élargit, de celle des neutres dont l’utilité est non seulement reconnue mais encore encouragée de tous. Nous reconnaissons pour nous le bénéfice de cette convergence d’intérêts. C’est sous cet éclairage politique que nous désirons présenter notre cas; nous savons que nous avons toujours trouvé à Paris sur ce plan des appuis efficaces. Nous n’imaginons pas dans les circonstances présentes qu’ils puissent nous faire défaut. Encore n’est-il pas inutile de se le faire confirmer à nouveau7.

1
Notice (copie): CH-BAR#E2001E-01#1982/58#3370* (B.15.21.1). Remise à P. Graber en prévision de la visite officielle de M. Schumann en Suisse les 15–16 septembre 1971.
2
Sur les rencontres entres hauts fonctionnaires des pays neutres, cf. doc 95, dodis.ch/35590, en particulier note 6.
3
Cf. DDS, vol. 23, doc. 13, dodis.ch/31083, note 5.
4
Sur l’accord de libre-échange conclu entre la Suisse et la Communauté économique européenne en 1972, cf. DDS, vol. 25, doc. 182, dodis.ch/35776. Sur les négociations, cf. DDS, vol. 24, doc. 180, dodis.ch/33243; DDS, vol. 25, doc. 25, dodis.ch/35772; doc. 44, dodis.ch/35774 et doc. 108, dodis.ch/35775.
5
Sur la position de la Suisse à l’égard de différentes questions relatives à la Conférence européenne de sécurité, cf. DDS, vol. 25, doc. 144, dodis.ch/34499.
6
Sur le rôle de la Suisse dans les rondes de négociations du GATT, cf. DDS, vol. 25, doc. 65, dodis.ch/35596 et doc. 103, dodis.ch/35597, en particulier note 2.
7
Cf. le procès-verbal de P.- Y. Simonin et de J.-M. Boillat du 26 novembre 1971, dodis.ch/36471.