dodis.ch/41550
Le Conseil d’Etatdu Canton de Vaud au Conseil fédéral1

Nous avons l’honneur de vous accuser réception de votre lettre du 23 avril2 dernier, par laquelle, à l’occasion de la publication d’une note que nous aurions adressée, de concert avec le Haut Etat du Valais, à Monsieur le Général La Marmora, Président du Conseil des Ministres de sa Majesté le Roi d’Italie, au sujet de la question du passage des Alpes par un chemin de fer, vous nous rappelez les dispositions de l’article 10 de la Constitution fédérale et vous nous invitez à vous renseigner au plus tôt sur la réalité du fait de l’envoi de ladite note et sur les motifs qui nous ont engagés à faire cette démarche.

Cette lettre nous met dans l’obligation de rappeler quelques faits, que vous semblez avoir perdus de vue, en nous invitant à nous conformer à l’article 10 de la Constitution fédérale.

Ensuite des conférences tenues à Lucerne, les 8 Août et 28 Septembre 1863, entre les délégués des Cantons intéressés au passage des Alpes par le St. Gothard et de deux Compagnies de chemins de fer, un concordat fut conclu entre ces Etats et les Compagnies, et un Comité fut formé pour représenter les Cantons et les Compagnies concordataires dans les démarches à faire en faveur du passage du Gothard.

A cette occasion, les Gouvernements des Etats de Glaris, Appenzell, St. Gall, Grisons, Vaud, Valais et Genève crurent devoir, dans un mémoire3 rédigé à la suite d’une conférence tenue à St. Gall le 14 Septembre 1863, attirer l’attention du Haut Conseil Fédéral sur les conséquences que pourrait avoir pour la Confédération la ligne de conduite adoptée par les Cantons partisans du St. Gothard, mais le Conseil Fédéral décida que la Convention du 28 Septembre 1863 n’avait rien de contraire aux droits de la Confédération et des autres Cantons, et il s’empressa de notifier cette décision aux Gouvernements des Royaumes d’Italie, de Baden, de Wurtemberg, de Bavière et d’Angleterre.

Les prévisions exprimées par les Etats exclus de la conférence de Lucerne ne tardèrent cependant pas à se réaliser.

On apprit bientôt, en effet, que le Comité du St. Gothard était entré en négociation directe, au nom des Cantons qu’il représentait, avec des Gouvernements et des Ministres d’Etats Etrangers, en vue d’obtenir des subsides pour le passage des Alpes.

Ces démarches étaient-elles conformes aux dispositions de la Constitution fédérale? C’est ce que nous n’avons pas à examiner en ce moment, mais ce que nous tenons à constater, c’est qu’alors que les journaux favorables à l’entreprise du Gothard enregistraient les succès obtenus dans ces négociations à Florence, à Carlsruhe et même à Berlin, nous n’avons point appris que le Conseil Fédéral ait rappelé les Etats, au nom et au profit desquels elles avaient lieu, au respect de l’article 10 de la Constitution.

Cependant ces démarches du Comité du St. Gothard prirent bientôt un caractère tel, que les Etats intéressés à d’autres passages des Alpes se virent aussi dans l’obligation d’agir de leur côté.

En effet, dans des mémoires publiés par ce Comité et remis aux Gouvernements, dont il réclamait des subsides, ainsi qu’à la Commission chargée par celui de S. M. le Roi d’Italie de préaviser sur la question du passage des Alpes, on alléguait que le St. Gothard était le seul passage possible, le seul qui pût donner satisfaction aux intérêts et aux besoins de l’ensemble de la Confédération et qu’à ce titre il pouvait seul prétendre à une subvention fédérale, que la zone à laquelle il devait profiter comprenait non seulement les Cantons concordataires, mais encore ceux de la Suisse Occidentale, partisans d’un passage par le Simplon; que ce dernier passage devant nécessairement être éliminé du débat, ces Etats donneraient leur concours au passage du St. Gothard, de préférence à celui du Lukmanier, etc.

Nous crûmes devoir, pour ce qui nous concerne, réfuter ces assertions. Nous fîmes, en conséquence, publier, avec l’approbation de notre Grand Conseil, un écrit sur le passage des Alpes dans lequel étaient exposés les avantages d’un passage par le Simplon, combiné avec un passage au travers des Alpes Grisonnes, sur le passage unique du St. Gothard, et nous décidâmes de faire remettre cet écrit au Gouvernement de S. M. le Roi d’Italie, alors occupé de l’examen de la question du passage des Alpes, avec un mémoire destiné à combattre les allégations concernant l’intérêt, et le concours possible du Canton de Vaud à l’entreprise du Gothard.

Nous aurions pu sans doute, à l’exemple des Cantons partisans du St. Gothard, faire remettre directement ces documents au Gouvernement Italien par les soins d’un Comité ad hoc, ou par des délégués spéciaux, mais il nous parut plus conforme à l’esprit, si ce n’est à la lettre de la Constitution fédérale, de réclamer à cet effet les bons offices du Haut Conseil Fédéral.

Nous lui demandâmes, puisqu’il s’agissait d’une communication à un Gouvernement étranger sur un objet que l’article 9 de la Constitution a réservé à la souveraineté Cantonale, de nous prêter son entremise, à teneur de l’article 10 de la Constitution, pour faire parvenir les pièces dont il s’agit au Gouvernement Italien.

Cette demande fut adressée au Conseil Fédéral le 8 Décembre 18654.

Le mois de Décembre tout entier s’écoula sans qu’aucune nouvelle officielle nous parvînt au sujet de cette affaire; nous apprîmes seulement par les feuilles publiques que sur une interpellation du Comité du St. Gothard, le Conseil Fédéral avait jugé à propos de lui donner connaissance, sinon du texte même de notre mémoire au Gouvernement Italien, du moins de la substance de cette communication.

Enfin le 5 Janvier 1866, alors que nous devions croire notre mémoire parvenu depuis longtemps à sa destination, nous reçûmes votre réponse datée du 29 Décembre 18655, à notre demande du 8 du même mois. Cette réponse consistait en un refus de transmettre à Florence l’écrit pour le passage des Alpes imprimé par ordre du Gouvernement Vaudois, en nous laissant le soin de la faire parvenir nous-mêmes, et en véritable fin de non-recevoir pour ce qui concernait le mémoire adressé par nous au Gouvernement Italien.

Sur notre nouvelle demande du 10 Janvier 18666, de vouloir bien transmettre ce mémoire à son adresse, ou de nous le retourner, le Haut Conseil Fédéral, en nous le renvoyant par son office7, reçu le 9 Février suivant, prétendit que l’article 9 de la Constitution fédérale, qui réserve aux Cantons le droit de négocier avec les Etats Etrangers sur les questions purement économiques, n’était pas applicable au cas dont il s’agit, et qu’il estimait d’ailleurs avoir le droit de formuler, suivant ses convenances, les communications pour lesquelles ses bons offices étaient requis à teneur de l’article 10.

Après vous avoir fait observer que cette interprétation de l’article 10 de la Constitution fédérale ne tendait à rien moins qu’à donner à l’Autorité exécutive de la Confédération le pouvoir d’annihiler, cas échéant, les droits attribués aux Cantons par l’article 9 de la Constitution, nous dûmes protester contre la manière de voir du Haut Conseil Fédéral et déclarer vouloir maintenir en cette affaire pour le Canton de Vaud les droits que les Etats confédérés se sont réservés aux articles 3 et 5 de la Constitution.

Mais pendant ce temps, la question du passage des Alpes avait marché en Italie grâce aux efforts du Comité du St. Gothard, qui continuait à agir directement à Florence au nom des Cantons Confédérés, réunis en conférence à Lucerne; la Commission instituée à cet effet par le Gouvernement Italien avait présenté son rapport et le Gouvernement venait de se décider à soumettre au Parlement des propositions favorables à l’entreprise du St. Gothard. Nos observations sur cette question qui auraient pu parvenir à Florence avant cette décision, si elles eussent été transmises immédiatement par le Conseil Fédéral, risquaient d’arriver trop tard. Nous jugeâmes donc qu’il n’y avait pas de temps à perdre, et, après nous être mis d’accord à cet effet avec le Gouvernement du Haut Etat du Valais, nous fîmes remettre par un délégué:

1. à MM. les Présidents du Sénat, de la Chambre des Députés du Royaume d’Italie, un certain nombre d’exemplaires de l’Ecrit imprimé sur le passage des Alpes, pour être distribués aux Membres du Parlement avant la discussion sur les propositions du Gouvernement Italien;

2. à son Excellence le Général La Marmora un mémoire, dont nous avons l’honneur de vous transmettre ci-joint un exemplaire imprimé pour copie.

Nous avons choisi le Général La Marmora comme étant la personne la mieux placée pour recevoir cette communication concernant le passage des Alpes par une voie ferrée.

Nous ajoutons que par notre office du 7 Avril8 écoulé, resté jusqu’à ce jour sans réponse, nous vous avons adressé une nouvelle communication destinée à être transmise par voie diplomatique au Gouvernement de sa Majesté le Roi d’Italie et que nous avons toujours fait appel à votre intermédiaire pour nos rapports officiels avec ce Gouvernement.

Nous osons espérer que les explications que nous venons d’avoir l’honneur de vous donner, vous paraîtront complètes, satisfaisantes et nous prions le Haut Conseil Fédéral de recevoir l’assurance que le Conseil d’Etat du Canton de Vaud a toujours pris pour règle de conduite le respect de la Constitution fédérale et qu’il s’abstiendra dans l’avenir, comme il l’a fait jusqu’à ce jour, de toute démarche, qui ne serait pas justifiée par les dispositions précises de cet acte constitutionnel, pour lequel le peuple Vaudois a récemment témoigné le plus ferme attachement.

1
E 53/126.
2
Non reproduite, cf. E 1001 (E) q 1/71.
3
Cf. E 53/125 Band 1.
4
Cf. E 53/126.
5
Cf. E 1001 (E) q 1/69.
6
Non reproduite.
7
Du 29 janvier/7 février, non reproduit. Cf. E 1001 (E) q 1/70.
8
Non reproduit. Cf. E 53/126.