dodis.ch/43610
Le Ministre de Suisse à Paris, Ch. Lardy, au Chef du Département de l’Economie publique, E.Schulthess1

Le 15 août étant jour férié en France, j’ai donné congé à mes sténo-dactylographes et ne puis vous écrire en plusieurs exemplaires.

Malgré le jour férié M. Ribot, Président du Conseil, a bien voulu me recevoir il y a quelques instants. Je lui ai répété tout ce que j’avais dit hier soir à M. Clémentel, Ministre du Commerce. Au début de l’entretien M. Ribot m’a interrompu dès qu’il a vu de quoi il s’agissait et, sur un ton quelque peu excité, a dit:«Nous ne pouvons pas nous laisser traiter chez vous moins bien que les Allemands. Vous leur ouvrez des crédits et j’ai télégraphié à notre ambassadeur que nous réclamions absolument des crédits de même importance.»

J’ai alors expliqué à M. Ribot le mécanisme de nos crédits pour les charbons allemands et exposé la différence des situations. M. Ribot est devenu peu à peu moins nerveux; j’ai insisté comme hier chez M. Clémentel sur la sorte d'incohérence qui consiste à nous reprocher notre change et à faire tout ce qu’on peut du côté allié pour avarier ce change en diminuant nos importations de matières premières ou de denrées alimentaires, ou même en supprimant tout à fait un élément de change aussi important que les 260 millions de soie vendue en Suisse par la France et l’Italie. J’ai exposé les divers cas de politique contradictoire, par exemple pour les chocolats et les cacaos, et fait ressortir combien il pourrait être utile de s’expliquer franchement sur les diverses questions franco-suisses en cours telles que nos trains vers la mer, les difficultés opposées au transit de nos marchandises d’outre-mer achetées par l’entremise de courtiers français et qu’on cherche à nous retenir, etc. Pour discuter cet ensemble de questions, M. Clémentel serait disposé à venir à Berne au lieu de laisser s’éparpiller cet examen entre délégués n’ayant pas la situation d’un ministre responsable. Si la France a de la peine à payer en Suisse, la Suisse ne peut pas vivre si on lui ferme les débouchés de ses trois principales industries et si on aggrave les obstacles mis à son approvisionnement.

J’ai l’impression que M. Ribot a compris sur plusieurs points notre situation. Il a reconnu combien elle était difficile. Il a déclaré qu’il conférerait immédiatement avec M. Clémentel dès son retour et qu’à première vue il n’était pas hostile au voyage à Berne du Ministre du Commerce accompagné de spécialistes des ministères intéressés, Finances, Transports etc.

J’ai fait observer qu’il y avait là une suggestion plutôt personnelle de ma part et de celle de M. Clémentel, en sorte que je devais réserver l’opinion du Conseil fédéral, tout en ne cachant pas que je ferais personnellement mon possible pour faire aboutir cette entrevue.

Le Président a insisté de nouveau sur la nécessité d’une sorte d'équilibre à établir entre les crédits à ouvrir par la Suisse aux Allemands et ceux à ouvrir à leurs adversaires.

J’ai oublié de vous écrire que M. Clémentel, sans insister pour la conclusion actuelle d’un accord à ce sujet, désirerait vous entretenir s’il va à Berne des moyens de garantir la nationalité suisse des sociétés anonymes de notre pays, par exemple en exigeant que les actions soient nominatives 2.Il conviendrait donc que vous vous prépariez à des conversations sur ce sujet.

1
Lettre (Copie): E 2001 (B) 1, 94.
2
Lardy écrit: assurer la nationalité des Suisses des sociétés anonymes de notre pays, ce qui pourrait signifier que Clémentel chercherait à contrôler la nationalité des porteurs d’actions des sociétés anonymes suisses.