dodis.ch/46284
Le Président de la Confédération, G. Motta, au Ministre de Suisse à Londres, C. Paravicini1

Urgent

Le Chargé d’Affaires d’Egypte nous a exposé, au cours d’une démarche qu’il vient d’entreprendre auprès de notre Département, que son Gouvernement serait heureux si, au lieu de solliciter son admission dans la Société des Nations, l’Egypte était invitée par les Etats membres à y participer. Il attacherait du prix à ce que l’un de ces Etats consentît à prendre l’initiative de cette invitation.

Cette démarche, qui a sans doute été faite simultanément dans d’autres capitales, n’a pas lieu de nous surprendre. On comprend que l’Egypte voie politiquement un avantage à être conviée à accéder à la Société des Nations. Son amour-propre en serait flatté. Si la procédure qu’elle nous suggère n’est pas très orthodoxe, elle n’a rien cependant de révolutionnaire. Le Mexique et la Turquie sont entrés dans la Société des Nations à la suite d’une invitation analogue. Si le cas du Mexique présentait certaines particularités sur lesquelles nous n’avons pas à revenir ici, celui de la Turquie, au contraire, constituait bel et bien un précédent qui ne pouvait qu’inciter d’autres Etats à s’en prévaloir.

Si la Société des Nations jouissait de tout le crédit qu’on se plairait à lui reconnaître, on pourrait disserter sur l’opportunité de cette nouvelle dérogation à la procédure régulière prévue par l’article premier du Pacte, mais le fait est qu’elle est actuellement aux prises avec des difficultés qui ne lui permettent guère de se montrer trop sévère sur les conditions d’admission. D’un autre côté, les partisans les moins convaincus du principe de l’universalité tiendraient sans doute pour puéril un examen trop rigoureux des titres d’admission dans la Société des Nations dont fait partie un Etat comme l’U.R.S.S.

Pour ces raisons, nous ne verrions aucun inconvénient à ce que l’Egypte reçût l’invitation à laquelle elle serait si sensible et, pour notre part, nous serions tout prêts à nous y associer.

Il nous serait cependant difficile de prendre une initiative à ce sujet. Une démarche de cette nature ne cadrerait guère avec la réserve dont nous nous sommes généralement inspirés en ce genre d’affaires. Nous pouvons bien esquisser un geste amical à l’égard de l’Egypte, et nous serions même heureux de le faire, mais nous hésiterions à nous faire en quelque sorte son introducteur à Genève. Pareil rôle nous paraît revenir en tout premier lieu à la Grande-Bretagne. C’est à ce pays, dont dépend pratiquement la participation de l’Egypte à la Société des Nations, qu’il appartiendrait de se prononcer sur l’opportunité de la procédure d’invitation que le Gouvernement du Caire appelle de ses vœux. Si le Gouvernement britannique prenait une initiative dans ce sens, il pourrait compter sur l’appui de la Suisse.

Nous vous saurions gré d’exposer discrètement ce qui précède au Foreign Office, qui sera sans doute déjà instruit des démarches du Gouvernement égyptien, et il nous intéresserait vivement de savoir si l’on serait disposé à Londres à se prêter au geste de haute courtoisie qui est suggéré par le Caire2.

1
Lettre (Copie): E 2001 (D) 4/5.
2
Le Gouvernement britannique ayant fait savoir à la Suisse, par l’entremise de son représentant à Berne, qu’il verrait ce geste favorablement, le Conseil fédéral décidait dans sa séance du 17 février 1937: de charger télégraphiquement notre Chargé d’affaires a.i. au Caire de faire savoir au Ministère des affaires étrangères que le Conseil fédéral saluerait vivement une collaboration de l’Egypte à Genève et qu’il serait heureux, par conséquent, si le gouvernement égyptien voulait bien prendre les dispositions nécessaires en vue de demander son admission dans la Société des Nations (E 1004.1 1/362, No306).