dodis.ch/46541
Le Ministre de Suisse à Paris, W. Stucki, au Chef du Département politique, G. Motta1

Dès réception de votre communication télégraphique du 30 avril2, je me suis, de mon côté, mis en rapport avec M. le Ministre Arnal, Sous-Directeur du Service de la Société des Nations au Quai d’Orsay, afin de compléter les informations que vous avez reçues de mon collègue de Londres sur l’accueil3 fait par les Gouvernements britannique et français au mémoire concernant la neutralité, adressé par le Conseil fédéral au Secrétariat de la S.D.N.

J’ai l’honneur de vous faire savoir que mon interlocuteur m’a déclaré qu’il admettait a priori que les délégations britannique et française au Conseil du 9 mai ne présenteraient pas de proposition définitive avant d’avoir consulté à Genève les représentants autorisés du Gouvernement fédéral. M. Arnal ne croit pas que Londres ait pu avoir la moindre hésitation à ce sujet, vu que toute proposition demeurerait inopérante si elle ne recueillait l’assentiment du Conseil fédéral. Bien que M. Arnal n’ait pas pu me remettre le texte du projet de résolution britannique4, par déférence pour le Cabinet de Londres, qui doit luimême en donner connaissance, s’il le juge utile, à M. Paravicini, il a consenti à m’en communiquer les parties essentielles. C’est un document d’environ deux pages et demie, qui, après un long préambule où le Gouvernement britannique se réfère au memorandum suisse et fait allusion à la déclaration de Londres (c’est, du moins, ce que mon informateur a cru pouvoir inférer du texte qu’il avait sous les yeux), conclut à la compatibilité de la neutralité inconditionnelle de la Suisse avec le Pacte de la Société des Nations.

Le projet se termine, non pas par des «réserves» - terme que M. Arnal trouve trop formel pour rendre les intentions britanniques - mais par deux «il est entendu que...» tendant à préciser

1°) que le cas de la Suisse répond à une situation tout à fait exceptionnelle, qui ne saurait en aucun cas être invoquée comme précédent par un autre pays;

2°) que si la Suisse recouvre sa neutralité inconditionnelle, le jeu du Pacte et le fonctionnement des organismes de la Société des Nations ne sauraient être gênés en aucune manière, surtout à l’égard des pays qui continuent à assumer sans aucune restriction leurs obligations de membres de la Ligue5.

1
Lettre: E 2001 (D) 4/1.
2
Non reproduite. Elle informait Stucki de la démarche demandée à Paravicini dans le télégramme suivant, également du 30 avril: Havas publie intention britannique soumettre Conseil Société des Nations résolution sur neutralité suisse. Rappelez d’urgence Foreign Office que le consultâmes avant envoi mémorandum et exprimez attente que serons également consultés avant dépôt ou publication résolution.
3
Dans sa lettre du 2 mai au Ministre de Suisse à Londres, G. Motta résume cet accueil ainsi: Nous avons été heureux d’apprendre que vous avez été immédiatement avisé, dans une forme personnelle extrêmement amicale, que les Ministres français et anglais réunis à Londres étaient disposés à entrer dans nos vues et avaient convenu de chercher le moyen d’accéder au désir exprimé par notre mémorandum sur la neutralité de la Suisse dans le cadre de la Société des Nations. Il semble, dans ces conditions, que vous n’éprouverez aucune peine à obtenir que le projet de résolution qui, d’après les journaux, serait proposé à cet égard au Conseil de la Société des Nations par le Gouvernement britannique nous soit communiqué à l’avance. Nous nous attendons, au point où en sont les choses, à ce que ce projet de résolution n’appelle aucune objection de notre part. Il nous paraît, toutefois, essentiel de pouvoir nous en assurer à temps pour agir, s’il semblait nécessaire d’obtenir quelque amendement. Nous vous savons gré, d’autre part, de nous avoir communiqué les articles de la presse anglaise au sujet de notre neutralité au sein de la Société des Nations. Il est fâcheux que les journalistes anglo-saxons témoignent, en général, de peu de compréhension pour nos besoins et nous comprenons que Sir George Warner vous pousse à rectifier certains commentaires erronés. Nous partageons, toutefois, entièrement votre avis qu’il vaut mieux s’en abstenir, car il s’agit certainement beaucoup moins d’ignorance que de mauvaise volonté et des rectifications pourraient entraîner des polémiques tout à fait inopportunes en ce moment.
4
Pour ce projet de résolution, cf. Nos 284, note 3; 287 et 288.
5
Par lettre confidentielle du 4 mai, G. Motta répondit ainsi: Nous ne saurions vous dissimuler, toutefois, que, suivant comment est rédigé le paragraphe que vous avez résumé comme suit: «Il est entendu que si la Suisse recouvre sa neutralité inconditionnelle, le jeu du Pacte et le fonctionnement des organismes de la Société des Nations ne sauraient être gênés en aucune manière, surtout à l’égard des pays qui continuent à assumer sans aucune restriction leurs obligations de membres de la Ligue», il comporterait pour notre pays un engagement que nous ne pouvons pas assumer. Il est clair, en effet, que nous ne pourrions demander à des Etats non membres de la Société des Nations et en guerre avec elle [de respecter?]la neutralité de la Suisse si nous avons pris un engagement qui nous obligerait à laisser s’installer sur territoire suisse les organes chargés de la direction militaire des opérations. Nous pensons qu’ainsi que vous l’aviez fait admettre, au cours de conversations précédentes, par M. Arnal et par M. Massigli, il serait hautement désirable que l’on renonçât à vouloir formuler une réserve qui embrassât des cas aussi extrêmes. Si l’occasion s’en présentait, nous vous serions très reconnaissants de le donner à entendre dès maintenant à Paris. Il est clair, toutefois, qu’il est impossible de se faire une opinion sur un texte que nous ne connaissons pas.