dodis.ch/46998
Le Ministre de Suisse à Ankara, E. Lardy, au Chef de la Division des Affaires étrangères du Département politique, P. Bonna1

Le Sous-Secrétaire d’Etat pour l’Air au Ministère de la Défense Nationale turc appela, il y a quelques jours, la Légation au téléphone et, sans donner d’autres précisions, demanda que P«Attaché Commercial» voulût bien passer au Ministère, pour une conversation.

Avec mon autorisation, M. Zehnder se rendit alors au Ministère de la Défense. C’est le Général Commandant de l’aviation turque qui le reçut. Il parut d’abord contrarié que M. Zehnder ne fût pas attaché commercial proprement dit, car il s’agissait, expliqua-t-il, d’une affaire de caractère officieux; il se décida cependant à entrer en matière et je me réfère, pour le détail, au mémorandum que l’on trouvera aux annexes.

Ainsi que vous le constaterez, le cas est délicat, car il s’agirait de permettre à l’administration militaire turque de se procurer, par la voie de la Suisse, les pièces de rechange qui lui manquent pour ses avions «Heinkel». L’opération se ferait, évidemment, avec le concours d’un intermédiaire privé, qui achèterait et revendrait et qui, cela va sans dire, toucherait une commission intéressante puisque l’affaire se chiffrerait par trois millions de livres turques environ. Indépendamment du bénéfice ainsi réalisé par la maison suisse intermédiaire, l’opération, au point de vue suisse, aurait le gros avantage, semble-t-il, d’aider au déblocage de nos avoirs suisses en Allemagne2, puisqu’elle entraînerait une exportation allemande en Suisse de plusieurs millions. Le remboursement ne pourrait se faire, du côté turc, qu’en devises libres hors clearing.

L’affaire, cela va de soi, est fort délicate et demande à être examinée sous tous les angles. A première vue, elle me paraît surtout inquiétante par son côté plus ou moins clandestin vis-à-vis du contrôle britannique, qui reste opposé, même dans ce cas, au versement direct de devises libres par la Turquie à l’Allemagne. L’administration britannique fermerait cependant les yeux, nous dit-on, si les devises étaient payées en Suisse, en contre-valeur de versements effectués par une maison suisse au clearing suisso-allemand. J’ignore, bien entendu, si la procédure envisagée est compatible avec les engagements que nous pourrions avoir contractés soit vis-à-vis des franco-britanniques, soit visà-vis de l’Allemagne; elle peut sans doute présenter encore d’autres inconvénients. Cependant, comme la proposition turque est des plus intéressantes à plusieurs égards, je n’ai pas voulu refuser de la transmettre, à titre confidentiel et officieux, bien qu’elle me soit parvenue par une voie anormale et sans aucune participation du Ministère des Affaires Etrangères3.

P.S. Au cas où vous estimeriez possible d’entrer en matière, il va de soi que je pourrais, à titre préalable, solliciter tous détails sur la manière de procéder. Peut-être s’agirait-il, par exemple, de faire pressentir indirectement une maison suisse appropriée, avec l’agent de laquelle l’affaire se traiterait ensuite sans autre intervention de notre part, à titre strictement privé, soit du côté allemand, soit du côté turc.

1
Lettre: E 2001 (D) 2/137. Annotation de Bonna en haut: M. Kohli: Qu’en pensez-vous?
2
Annotation de Kohli dans la marge: KTA Konto? Kohli a marqué ce passage d’un trait et d’un point d’interrogation dans la marge.
3
La demande turque sera rejetée par la Suisse: cf. annexe II.