dodis.ch/47118
Le Ministre de Suisse à Rome, P. Ruegger, au Ministre des Affaires étrangères d’Italie, G. Ciano1

J’ai l’honneur de recourir à l’obligeante et haute intervention de Votre Excellence dans les circonstances suivantes:

Le 19 juin dernier, la Légation Royale d’Italie à Berne a communiqué aux Autorités fédérales2 que le Ministère de l’Aéronautique, pour des raisons techniques et inhérentes à l’état de belligérance, se trouvait, à son regret, dans la nécessité de ne pouvoir confirmer plus longtemps l’autorisation accordée en son temps pour les services aériens suisses Locarno - Rome et Locarno - Barcelone, avec survol du territoire italien.

Une demande présentée ultérieurement, en vue d’obtenir quelques vols spéciaux pour transport de marchandises sur le parcours Locarno - Barcelone, soit éventuellement via Lyon - Marseille - Barcelone, a été écartée pour le moment par le Ministère de l’Aéronautique, pour cause de guerre.

J’ai été chargé et j’ai l’honneur de solliciter à nouveau de la part de mon Gouvernement la réouverture de la ligne Locarno - Barcelone et de faire valoir à l’appui de cette requête les motifs ci-après.

L’Italie a, jusqu’à présent, facilité de son mieux les transports maritimes ou terrestres destinés à ravitailler la Suisse, apportant ainsi une-aide estimée à sa juste valeur. Or, la Suisse a un intérêt économique impérieux à avoir des transports rapides avec la péninsule ibérique. Certaines marchandises destinées à la Suisse restent en souffrance à Lisbonne et, d’une manière générale, son ravitaillement ne se fait plus d’une façon normale, faute de pouvoir envoyer rapidement sur place les personnes compétentes pour faire hâter l’expédition des marchandises se trouvant dans cette ville à destination de la Suisse. En outre, une partie du commerce d’exportation de la Suisse est constituée par des objets manufacturés, de valeur assez considérable, mais de petit volume, tels que horlogerie et bijouterie qui, en raison de cette valeur et de leur faible poids, sont expédiés par le moyen de transport rapide qu’est l’avion. Par suite des difficultés des communications actuelles en France, il est presque impossible d’exporter ces articles pour les pays d’outre-mer, tandis qu’ils le seraient facilement par la ligne aérienne Locarno - Barcelone. L’industrie suisse fabriquant ces articles travaille essentiellement pour l’exportation et, si elle ne peut plus expédier ses produits à l’étranger, toute l’économie du pays s’en ressent.

L’Administration postale suisse a aussi un intérêt considérable à des correspondances rapides avec l’Espagne et le Portugal. Chaque jour gagné dans l’expédition du courrier peut signifier des affaires importantes pour le commerce et l’industrie de la Suisse; donc le rétablissement d’une correspondance aérienne avec Barcelone, au moyen de laquelle on puisse envoyer les sacs postaux, est vivement désirée par l’Administration postale fédérale.

Si les Autorités italiennes ne pouvaient pas accorder le survol du territoire italien, les Autorités fédérales désireraient savoir si l’autorisation d’exploiter une ligne Genève-Barcelone, dont le parcours passerait à l’est du Rhône, mais en dehors de la zone neutralisée, en vertu de la convention d’armistice francoitalienne, rencontrerait l’assentiment des Autorités Royales.

L’autorisation d’exploiter une ligne aérienne Locarno - Barcelone ou Genève - Barcelone, ou tout au moins d’effectuer sur ces parcours des vols spéciaux, serait un complément nécessaire aux arrangements faits pour le transit par voie de mer ou de terre. Les Autorités fédérales voudraient espérer que l’Italie apportera à ces transports aériens la même compréhension qu’elle a témoignée pour les autres transports.

Les Autorités suisses peuvent, dès à présent, donner l’assurance que ces survols n’auront qu’un seul but de transport normal et que toutes mesures utiles seraient prises pour que les prescriptions légales, fiscales ou de douane soient respectées.

Je me plais à espérer que Votre Excellence voudra bien faire valoir auprès du Ministère Royal de l’Aéronautique les motifs de bon voisinage et l’intérêt économique qui militent en faveur de l’autorisation sollicitée, malgré les objections techniques soulevées antérieurement3.

1
(Copie): E 2200 Rom 23/8. Paraphe: TV.
2
Non reproduite.
3
Par une note du 10 octobre 1940, le Ministère des Affaires étrangères d’Italie répondra favorablement (cf. E 2001 (D) 2/225/ En fait, le service aérien entre Locarno et Rome ne sera autorisé que du 6 au 14 janvier 1941. Toutefois, des vols de ravitaillement entre la Péninsule ibérique et la Suisse continueront en faisant escale à Munich, Stuttgart ou Berlin.