dodis.ch/47301
Le Ministre de Suisse à Rome, P. Ruegger, au Chef du Département politique, M. Pilet-Golaz1

M. le Directeur Hotz a bien voulu m’envoyer un compte-rendu confidentiel de son entretien du 4 octobre avec le Ministre d’Italie, qui était accompagné par son conseiller commercial, au sujet de la nouvelle demande de crédits italiens2. Dans cette notice, il était indiqué que M. Tamaro comptait se rendre auprès de vous pour renouveler ses instances.

J’ai l’honneur de vous envoyer ci-joint copie de ma lettre confidentielle de ce jour à M. Hotz3, qui résume, une fois de plus - copies des autres lettres au Département de l’Economie publique sont parvenues à votre Département - le point de vue de notre Légation en cette matière.

Il est vraiment extraordinaire que M. Tamaro ait osé prétendre que de nouveaux crédits du montant très considérable de 150 millions pouvant être consentis par le Gouvernement fédéral seraient «insuffisants et constitueraient un affront»!

Je me suis empressé d’écrire à M. Hotz - en attendant d’envoyer pour rapport à Berne notre premier Secrétaire chargé des affaires commerciales4 - qu’absolument rien n’autorise, dans l’atmosphère de Rome, les excès de zèle de M. Tamaro. S’il y a une chose que je regrette, c’est que la Légation d’Italie ait déjà pu apprendre le montant considérable que le Conseil fédéral, sous réserve de certaines conditions, serait disposé à laisser avancer.

Au Comte Ciano lui-même, j’ai fait comprendre, au cours d’une conversation d’ailleurs générale, que l’on ne devait pas venir nous parler de chiffres par trop excessifs.

A mon sens, notre ligne d’action doit être absolument la suivante:

1 °) Nous ne pouvons pas être contraires au principe des crédits, sous forme d’avances de clearing ou autres, du moment que des concessions très considérables ont été faites à l’Allemagne, et qu’une parité de traitement5, tous les éléments étant bien considérés pour fixer leur proportion, devrait être assurée à tous nos voisins6 (la France a eu des avantages en dernier lieu lors de l’emprunt pour ses chemins de fer). Le jour où une grosse avance à l’Allemagne a été consentie - je n’ai cessé de le dire et de l’écrire à l’époque - des engagements ont aussi été implicitement signés envers l’Italie.

2°) Restent cependant les modalités. Nous ne devons absolument pas avoir épuisé nos possibilités d’action au moment où une aide à l’Italie sera vraiment nécessaire et dans l’intérêt de notre pays. Or, des crédits ou avances bancaires très considérables consentis maintenant risqueraient tout simplement à [sic] boucher quelques trous, sans que l’on nous en sût trop gré.

Par conséquent, nous devrions prévoir un système de crédits échelonnés, répartis sur une période assez longue et en tranches augmentant progressivement, mais sans des versements ou crédits initiaux trop considérables7.

3°) Il est absolument indispensable, à mon sens, que nos concessions éventuelles puissent être encadrées dans le résultat de négociations économiques sur une vaste échelle.

Il ne suffit pas de discuter avec M. Masi, homme fort bien disposé pour la Suisse, mais n’ayant pas de moyens d’action suffisants en dehors de son dicastère spécial.

L’idée de négociations sur une vaste échelle est déjà acceptée par le Sénateur Giannini, seul qualifié pour les conduire avec notre pays, comme il le fait visà-vis de tous les autres.

Dans le moment actuel, je puis même ajouter que, d’après mon sentiment, les négociateurs italiens viendraient assez volontiers à Berne, où nous pourrions leur faire toutes les amabilités voulues.

4°) Pour ce moment-là, je me permets de recommander à votre bienveillant accueil l’Ambassadeur Giannini, un des hauts fonctionnaires italiens ayant encore aujourd’hui une très grande influence (j’ajoute qu’en sa qualité de sénateur M. Giannini a failli être nommé dernièrement Président de la Commission des affaires étrangères du Sénat). C’est un homme pondéré, raisonnable, grand ami de la Suisse, contraire à tous les excès de zèle nuisibles aux rapports entre les deux pays.

Enfin, Monsieur le Conseiller fédéral, je voudrais me permettre de souligner un point d’importance très considérable pour notre action en Italie. Il est - vous partagerez sûrement mon point de vue - tout à fait nécessaire que dans des conversations et pourparlers préalables, comme dans des négociations, aucune référence ne soit jamais faite aux avis exprimés par la Légation au sujet de problèmes discutés avec l’Italie8. Vous me connaissez assez pour savoir que je ne crains jamais d’assumer la responsabilité d’un fait signalé, d’un avis donné. Mais ici il s’agit des possibilités d’action de la Légation. Or, cette action serait naturellement fortement entravée vis-à-vis des Ministères avec lesquels nous avons journellement à faire pour une infinité de cas individuels si l’on pouvait alléguer que la Légation «met des bâtons dans les roues», alors que la centrale serait disposée à céder. Si je me permets de souligner ce point et d’exprimer le désir que toutes les instances intéressées ne cessent de tenir compte de cette réflexion, c’est parce que le fait de citer au dehors le rôle qui incombe comme un devoir à la Légation pourrait être absolument néfaste en vue de notre action future.

1
Lettre: E 2300 Rom/41. Pourparlers économiques et financiers avec l’Italie.
2
Cf. annexe au présent document.
3
Non reproduite (E 7110 1967/32, Italien 821).
4
M. Troendle.
5
Remarque marginale de Pilet-Golaz: juste.
6
Sur l’emprunt français, cf. DDS, vol. 12, table méthodique: II. 12.2. France. Relations économiques et DDS, vol. 13, doc. 36, dodis.ch/46793. Sur l’avance à l’Allemagne, cf. DDS, vol. 13, table méthodique: II.A. 1.1.2. Allemagne. Affaires économiques et table méthodique du présent volume: 2.1.1. Allemagne. Relations économiques.
7
Remarque marginale de Pilet-Golaz: juste également.
8
Remarque marginale de Pilet-Golaz: Absolument indispensable. Je ne parle jamais des avis ou suggestions de nos ministres.