dodis.ch/47864 Le Délégué officieux du Conseil fédéral auprès du Gouvernement provisoire de la République française, E. Schlatter, au Chef de la Division des Affaires étrangères du Département politique, P. Bonna1

J’ai l’honneur de vous faire savoir que j’ai été reçu aujourd’hui par M. Roger Bidault2, Ministre des Affaires Etrangères, duquel j’avais demandé une audience pour une visite de courtoisie.

M. Bidault m’a très aimablement reçu et au cours de la visite, s’est fait l’écho des sentiments de reconnaissance qu’a éprouvé la France vis-à-vis des efforts fournis par la Suisse sur le domaine humanitaire. En sa qualité d’ancien journaliste, le Ministre des Affaires Etrangères a fait quelques commentaires sur la presse suisse, dont il admirait l’impartialité, tout en regrettant que les éditions des journaux suisses romands qui parvenaient en France en 1942 et une partie de 1943, n’aient pas été plus explicites dans leurs appréciations de la politique anti-collaborationiste française. Il comprend cependant fort bien les limitations qui sont imposées à la presse suisse par la politique de neutralité traditionnelle poursuivie par le gouvernement fédéral.

J’ai saisi l’occasion pour dire à M. Bidault combien la Suisse s’intéressait au sort de la France, dont elle a toujours suivi le développement au cours de cette guerre avec beaucoup de sympathie. J’ai fait valoir le fait que, notamment du point de vue économique, nous tenions beaucoup à maintenir et développer les excellentes relations qui ont toujours existé entre nos deux pays. J’ai attiré son attention sur la présence à Paris de M. de Torrenté, Délégué aux accords commerciaux, qui avait pris contact avec de nombreuses personnalités dirigeantes pour examiner les nombreux problèmes qui se posent actuellement3. Le Ministre des Affaires Etrangères était au courant des conversations de M. de Torrenté, et a exprimé l’espoir que ses efforts, qui correspondaient aux désirs de la France, seraient couronnés de succès. Cependant, il n’a pas hésité à déclarer que la France n’était actuellement pas libre de ses décisions, que dans le domaine économique aussi bien que dans le domaine politique, il dépendait encore aujourd’hui presque entièrement du bon vouloir des puissances alliées dont les armées se battent actuellement en Europe. Il a exprimé l’espoir que le gouvernement français pourra bientôt être considéré comme gouvernement vraiment libre, que les gouvernements de tous les pays voudront bientôt reconnaître «qu’il fait jour en plein midi», et accorder au Gouvernement de Gaulle la reconnaissance qui lui est due d’une façon aussi évidente.

J’ai par la suite abordé le sujet des communications entre Paris et Berne, et notamment des relations télégraphiques chiffrées entre la représentation diplomatique de Suisse à Paris et le gouvernement fédéral. Bidault m’a répondu que c’était là un problème qu’il examinait très attentivement depuis l’arrivée à Paris du corps diplomatique et auquel il consacrait tous ses efforts. Il va sans dire que toutes les missions diplomatiques accréditées auprès du gouvernement provisoire de la république française ont fait au Ministre des demandes et des représentations semblables. De son propre aveu, la décision en cette matière cependant n’incombe pas au gouvernement français seul, qui ne demanderait pas mieux que de donner toutes facilités voulues au corps diplomatique, mais principalement du commandement interallié. Le quartier général cependant n’a pas encore estimé opportun d’accorder aux représentations diplomatiques en France les privilèges de correspondances secrètes auxquelles elles peuvent prétendre.

1
Lettre: E 2001 (D) 3/65. Annotation de M. Pilet-Golaz en tête du document: 17.10.44.
2
Sic. Il s’agit de Georges Bidault.
3
Cf. E 2200Paris/30/10.