dodis.ch/47872
Le Chargé d’Affaires a.i. de Suisse à Buenos Aires, J.-A. Cuttat, au Chef de la Division des Affaires étrangères du Département politique, P. Bonna1

Dans ses lettres des 5 août et 18 septembre 19432 dont copie vous fut adressée, la Division du Commerce avait signalé à cette Légation la manière de voir de notre Banque Nationale au sujet de l’arrangement intervenu entre cette dernière et la Banque Centrale argentine en mai 19423.

Cet arrangement, comme vous vous en souviendrez, prévoyait que notre institut d’émission suppléerait à la pénurie de francs suisses sur le marché argentin moyennant des achats d’or loco Buenos Aires.

Si je reviens aujourd’hui sur cette question, c’est parce que la Banque Centrale a derechef appelé mon attention sur son récent échange de télégrammes avec la Banque Nationale, suscité par de nouvelles difficultés que l’on peut résumer comme il suit:

En date du 30 mai, la Banque Nationale aurait déclaré à la Banque Centrale qu’elle ne croyait plus pouvoir augmenter ses achats d’or à Buenos Aires. Or, la balance des comptes officiels entre les deux instituts d’émission offre, aux dires de la Banque Centrale, l’aspect suivant pour la période s’étendant à 1942, 1943 et les quatre premiers mois de 1944:

[...]4

Il résulte de ce tableau qu’il manque à la Banque Centrale un montant de 21 millions de francs suisses pour faire face à une partie du service de la Dette publique argentine en Suisse et au transfert pour frais officiels. Aussi longtemps que nos achats de marchandises en Argentine n’augmentent pas dans une proportion considérable, ce déficit ne peut être comblé que par de nouveaux achats d’or conformément à l’arrangement du mois de mai 1942. La Banque Centrale ne m’a pas caché qu’elle serait vivement reconnaissante à la Banque Nationale de faire un effort dans ce sens afin de lui permettre de s’acquitter sans entrave de sa Dette publique envers la Suisse. Elle ajouta, à ce propos, que le montant de 21 millions de francs suisses lui paraissait relativement modique à l’échelle des avoirs considérables de notre institut d’émission.

La Banque Centrale me signala également une autre difficulté qui se réfère aux opérations dites de «passe» (swap) moyennant lesquelles la Banque Nationale avance à l’institut argentin des francs suisses jusqu’au terme auquel l’exportateur de produits argentins a reçu de son acheteur suisse les francs correspondants qu’il doit transmettre à la Banque Centrale. Comme la Banque Nationale ne peut faire de pareilles opérations que pour 90 jours, alors que les opérations à terme des exportateurs de Buenos Aires s’étendent fréquemment sur 180 jours, notre institut d’émission résolvait jusqu’à présent la difficulté en promettant le renouvellement pour une nouvelle période de 90 jours. Or, suivant un télégramme du 16 septembre5, la Banque Nationale n’est plus certaine de pouvoir effectuer sans autre ces renouvellements à l’avenir. La direction de l’institut argentin m’exposa que ces opérations à 180 jours lui sont indispensables pour pouvoir payer les importateurs de produits suisses.

Comme vous le voyez, l’arrêt des achats d’or par la Banque Nationale à Buenos Aires moyennant des francs suisses n’affecte pas seulement les créances financières publiques suisses, mais risquent également de se répercuter sur le mécanisme des exportations et des importations argentino-suisses. Pour se procurer une autre source de francs, la Banque Centrale envisage d’affecter au marché officiel les versements de francs suisses qui passent actuellement par le marché libre. Cette solution n’aurait pas seulement l’inconvénient de ne remédier au mal que dans une mesure infime, vu l’exiguïté du marché libre de francs suisses en Argentine, mais elle paralyserait en outre le service de la dette privée qui se trouve renvoyé sur le marché libre depuis 1938. En d’autres termes, une certaine reprise des achats d’or est la seule source de francs suisses permettant de rétablir l’équilibre et de mettre fin en même temps aux fluctuations erratiques de notre monnaie à Buenos Aires. Il est vrai que, d’après la statistique suisse, nos achats à Buenos Aires paraissent très supérieurs au montant indiqué dans le tableau ci-dessus par rapport à nos ventes. Mais il ne faut pas oublier que ces achats sont estimés Cif6 frontière suisse d’après nos statistiques, tandis que la statistique argentine les évalue Fob7Buenos Aires. La différence, qui correspond à des frais de transport s’élevant à plus de 90% de la valeur de la marchandise, ne peut guère être considérée comme un actif argentin, puisqu’il profite la plupart du temps à des entreprises de transports étrangères. Je vois donc guère la possibilité de discuter avec profit les chiffres indiqués dans le tableau susvisé.

Il m’importe de souligner que les raisons commandant à notre institut d’émission d’éviter l’augmentation de ses réserves d’or à l’étranger ne m’échappent nullement. L’accroissement de ces réserves, dont la disponibilité n’est pas absolue, pourrait créer une prospérité artificielle susceptible d’engendrer l’inflation, et il est naturel que la Banque Nationale ne veuille pas donner indéfiniment aux banques suisses titulaires de créances financières des francs librement disponibles en Suisse contre de l’or en Argentine. Néanmoins, j’ai pensé que je demeurerais en deçà de mon devoir en omettant de porter à votre connaissance le désir que m’a exprimé d’une manière pressante la Banque Centrale de voir notre institut d’émission faire un effort pour sortir d’une impasse qu’elle espère d’ailleurs passagère. Je m’en remets donc à vous du soin de confronter les risques d’une augmentation de 21 millions de nos réserves d’or avec les inconvénients que j’ai signalés plus haut touchant les créances financières et l’échange de nos marchandises.

1
Lettre: E 2001 (E) 2/652.
2
E 7110/1967/32/861.0.Argentinien.
3
Cf. E 2001 (D) 2/257, 260 et 282, ainsi que E 2200 Buenos Aires 1968/231/10.
4
Für die Tabelle vgl. dodis.ch/47872. Pour le tableau, cf. dodis.ch/47872. For the table, cf. dodis.ch/47872. Per la tabella, cf. dodis.ch/47872.
5
Non retrouvé. Cf. E 2001 (E) 2/651 et E 2200 Buenos Aires 3/13 -14.
6
Abréviation des mots anglais Cost, insurance, freight, utilisée dans les contrats de commerce maritime international et stipulant que le coût de la marchandise couvre son prix, les frais d’assurance et le fret - y compris les frais de transport jusqu’au navire, les frais de déchargement et l’assurance d’usage.
7
Abréviation des mots anglais Free on board, utilisée dans les contrats de commerce maritime international et stipulant que le prix «Fob» couvre tous les frais de transport jusqu’au port d’embarquement ainsi que tous les droits et taxes que la marchandise doit supporter pour être mise à bord.