dodis.ch/47952
Le Ministre de Suisse à Londres, P. Ruegger, au Chef du Département politique, M. Petitpierre1

Confidentiel

J’ai l’honneur de vous relater ci-après quelques avis recueillis chez Mr. Anthony Eden, Secrétaire d’Etat aux Affaires Etrangères.

Nous l’avons rencontré hier à un déjeuner à l’Ambassade d’Iran, auquel le Secrétaire d’Etat aux Affaires Etrangères s’est rendu avec plusieurs membres du «War Cabinet», ainsi qu’avec le Lord Chancellor Simon. Le fait que contrairement à ses habitudes récentes imposées par ses fonctions de «Leader of the House», M. Eden a accepté de se rendre à l’Ambassade d’Iran en compagnie de plusieurs membres du Cabinet de guerre a, d’ailleurs, été commenté et mis en rapports avec la réunion à Téhéran des «Big Three», qui se rencontreront vraisemblablement à nouveau en proximité de l’U.R.S.S.

Je n’ai pas eu moi-même l’occasion de répéter à Mr. Eden, devant des tiers, ce que je lui ai déjà exposé quant aux difficultés de notre pays en ce moment et à notre «doctrine» de neutralité qui, dans l’intérêt de tous, doit être respectée dans le domaine économique comme dans le domaine politique.

Il vous intéressera, cependant, de savoir qu’en parlant à Madame Ruegger, sa voisine de table, Mr. Anthony Eden a répété que la Suisse seule avait tenu une ligne de conduite véritablement neutre parmi les Etats qui se réclamaient de la neutralité. Il était plein d’éloges pour l’activité humanitaire de notre pays: «Je suis très heureux, votre pays a bien travaillé». Et il déclara enfin, ce qui est significatif: «Je dirai tout à l’heure à l’Ambassadeur de Turquie que seule la Suisse a été réellement et véritablement neutre». Ceci confirme que le Secrétaire d’Etat aux Affaires Etrangères, qui - je vous l’avais relaté confidentiellement, - avait déjà donné l’indication que, «s’il y avait un Etat neutre, pour lequel il prendrait fait et cause, ce serait bien la Suisse», n’a pas modifié sa manière de voir en présence des tentatives de pression venant de l’U.R.S.S. et, peut-être, des Etats-Unis.

D’autre part, Mr. Eden a dit à ma femme, en parlant de certains otages retenus par l’Allemagne, que les dirigeants du nazisme n’auraient probablement guère le temps de sévir contre ceux-ci, avant d’être «écrasés eux-mêmes». Ceci témoigne de l’optimisme qui règne ici quant au rythme des événements prochains.

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Lettre: E 2801 1967/77/3. M. Petitpierre a visé ce document le 6 février 1945.