Le 6 décembre 1992, l’Accord sur l’EEE a été rejeté à une étroite majorité par le peuple (50,3% de non) et à une évidente majorité par les cantons (16 cantons ont voté non).2 Cela signifie pour le Conseil fédéral que le Souverain a refusé la participation de la Suisse au marché unique européen, dans le contexte de l’EEE. Toutefois, le marché intérieur est déjà une réalité et les autres États de l’EEE sont, entre-temps, tombés d’accord pour réaliser l’EEE sans la Suisse. Dans cette situation, le Conseil fédéral considère comme prioritaire de promouvoir au mieux les intérêts de la Suisse non-membre de l’EEE.3
En matière de politique extérieure, il s’agit d’éviter l’isolement. Personne ne conteste que la Suisse soit disposée à adopter une attitude d’ouverture.4 Cela signifie que nous soutenons les autres États dans la réalisation de l’EEE sans la Suisse, afin de limiter le retard dû à notre non-participation. Même sans la Suisse, les États qui prennent part à l’EEE demeurent nos partenaires économiques, politiques et culturels les plus proches. Et de plus, on y retrouve tous nos voisins. Cette réalité de politique extérieure doit être prise en considération. Le Conseil fédéral l’a fait en acceptant le statut d’observateur au sein de l’AELE, lorsqu’il s’agit de traiter de l’EEE.5 La conviction du Conseil fédéral selon laquelle un isolement de la Suisse n’est pas une solution praticable pour notre avenir en Europe est inchangée.6 Et le Conseil fédéral entreprend actuellement tout ce qui est en son pouvoir pour rendre possible le développement de négociations bilatérales7 avec la CE et les autres États de l’EEE;8 et, simultanément, pour maintenir ouverte la possibilité d’une adhésion ultérieure à l’Accord EEE. Par ailleurs, l’option d’une adhésion à la CE reste toujours valable.9
La voie bilatérale actuellement suivie est sans aucun doute la plus difficile. Mais cet engagement correspond au vœu du peuple, conformément au résultat du 6 décembre 1992.10
Les instruments bilatéraux de base à disposition sont les suivants:
– L’Accord de libre échange de 1972 (Comité mixte du 5.2.93)11
– Le Programme-cadre Suisse–CE sur la recherche12 (24.12.92: visite du CF Cotti à M. Pandolfi, alors Commissaire en charge du dossier;13 3.3.1993: Comité mixte Suisse–CE sur la recherche14)
– L’Accord en matière d’assurance de 199115
– L’Accord sur le transit de 199216 (1er contact relatif au transport aérien et terrestre le 4.3.9317/visite du Commissaire Matutes le 29.3.9318)
Chacun de ces instruments contractuels connaît des mécanismes permettant leur développement ultérieur et des mécanismes de consultation réciproque. Mais une consultation réciproque ne signifie pas (encore) de négociations; et des négociations ne signifient pas non plus des accords contractuels. C’est une vérité de La Palisse, que de dire en diplomatie, que pour conclure des accords, il faut des intérêts réciproques. Jusqu’à maintenant, la Commission de la CE a donné des signaux encourageant pour les négociations relatives à l’élimination de certains obstacles techniques dans le cadre de l’Accord de libre échange de 1972 (règles d’origine, régime douanier réservé aux produits agricoles transformés). Quant à nos autres propositions diplomatiques, la Commission de la CE nous a répondu qu’il faudrait attendre.19
Lors du comité mixte Suisse–CE, dans le cadre de l’Accord sur la recherche de 1986, des discussions ont été engagées le 3 mars 1993 avec la Commission des CE. Les intérêts suisses à une participation pleine et entière, sur pied d’égalité, au programme de recherche et de formation de la CE furent clairement exposés.20 Ces souhaits ont été réitérés lors de la visite du ministre danois de la recherche le 19 mars 1993 (le Danemark exerce actuellement la Présidence de la CE).21 À l’occasion de la rencontre du Secrétaire d’État Ursprung avec le commissaire Ruberti (compétent dans le domaine de la science et de la recherche, ainsi que dans celui du développement et de la formation) le 26 mars 1993 à Bruxelles, s’est également confirmé le grand intérêt existant de la CE à coopérer avec la Suisse.22
Dans le domaine des transports, des progrès se dessinent après une visite du Commissaire des transports M. Matutes, au CF Ogi, le 29 mars 1993.23 Dans un premier temps, des discussions exploratoires seront entreprises; le mandat de négociations de la part de la CE devra être approuvé dans le courant de l’année par le Conseil des ministres. (La conclusion des négociations est attendue – selon une estimation prudente – au plus tôt à la fin de l’année).24
Sur le plan politique, la CE a insisté sur le fait que les désirs de la Suisse doivent entrer dans un cadre global, non encore déterminé des futures relations Suisse–CE (pas d’EEE à la carte). Et selon la CE il ne faut rien attendre avant l’entrée en vigueur de l’EEE.25 D’autant que la CE26 s’occupe par ailleurs intensivement des négociations d’adhésions, des négociations avec le GATT et de la ratification du Traité de Maastricht.27 Et pour leur part, les États membres de la CE sont aussi occupés par des problèmes de politique intérieure; pensons à l’Italie, au Danemark, à la France, à la Grande-Bretagne ou à l’Allemagne.
Au niveau fédéral, il est clair pour le Conseil fédéral que les éventuels désavantages, inhérents au refus de participer à l’EEE, ne pourront être atténués, dans les années nonante, que par une concordance du droit suisse avec le droit communautaire. Ceci est particulièrement vrai dans le domaine économique, au sens large, (droit des sociétés, concurrence, marchés publics, libre circulation des personnes et reconnaissance mutuelle des diplômes, législation sociale, etc.). Le Conseil fédéral a clairement exprimé ces buts dans son Message sur le programme consécutif au rejet de l’Accord EEE du 23.2.1993 (Swisslex).28 Les commissions et le Conseil des États ont réservé un accueil favorable à ce Message.29 Souhaitons qu’il en soit de même au Conseil national.30 On ne peut suffisamment insister sur l’importance des solutions proposées. Équilibré, le programme du Conseil fédéral fixe les priorités dont la réalisation est urgente: revitalisation de l’économie, eurocompatibilité du droit suisse, possibilité de réciprocité. Des 50 projets de loi d’Eurolex, 35 ont une signification pour la Suisse, même hors de l’EEE. Dans son Message «Swisslex», le Conseil fédéral reprend 27 de ces projets de loi, dont 16 seront appliqués directement et 11 sous réserve de réciprocité. Les autres lois importantes seront traitées en procédure ordinaire.
D’autres projets du Conseil fédéral, qui ne sont pas directement issus d’Eurolex, vont dans la même direction: parmi les plus importants, notons la décision du Conseil national et du Conseil fédéral d’introduire une taxe à la valeur ajoutée; et la nouvelle politique agricole, qui devra satisfaire aux exigences de l’Uruguay Round du GATT, une fois les négociations terminées.31
Se basant sur l’expérience du 6 décembre, le Conseil fédéral considère aussi comme très important qu’une information approfondie sur l’intégration européenne soit donnée à la population suisse. La votation du 6 décembre a clairement montré que le peuple suisse, selon la langue, la région et le niveau social, se fait une image contradictoire de l’avenir de la Suisse en Europe.32 Le Conseil fédéral aura à mesurer la signification de ce fossé, non seulement pour les questions européennes, mais aussi dans les développements internationaux futurs ayant des répercussions sur la politique interne (migration,33 politique de sécurité,34 environnement,35 etc.).
En ce qui concerne les relations entre la Confédération et les cantons, le Conseil fédéral entend poursuivre et approfondir l’excellente collaboration qui a prévalu lors des négociations sur l’Espace économique européen (EEE).36 C’est la volonté et le vœu du Conseil fédéral. Il va de soi que ce qui est directement lié à la souveraineté des cantons ne saurait faire l’objet de recommandations de la part du Conseil fédéral. Néanmoins, fondamentalement, beaucoup de choses valables pour la Confédération le sont aussi pour les cantons.37 Il convient notamment de prendre en compte la nécessité d’adapter le droit cantonal à celui de nos voisins de la CE ou de l’EEE, de le rendre eurocompatible. Pour les cantons, je pense en particulier au domaine de la formation (reconnaissance des diplômes) et à l’ouverture des marchés publics.38 La décision de la Conférence des directeurs de l’économie publique, de lancer une procédure de consultation auprès des cantons sur la libéralisation des marchés publics, va dans ce sens.39
En ce qui concerne les communes, il faut savoir qu’en cas de participation de la Suisse à l’EEE, elles n’auraient été touchées que de façon marginale. Et après le 6 décembre, leur situation reste pour l’essentiel inchangée. Cependant, les communes se doivent de garder un œil sur l’ouverture des marchés publics. Étant entendu que des achats publics à meilleur compte ne sauraient être considérés en premier lieu comme une menace pour l’économie locale, mais représentent au contraire une utilisation efficace de l’argent des contribuables.
Il y a un domaine dans lequel les cantons et les communes sont sur pied d’égalité: il s’agit de la politique régionale. Or en matière d’intégration européenne, celle-ci va prendre de plus en plus d’importance. La politique de soutien de la CE envers les régions structurellement faibles représente aujourd’hui déjà 50% du budget communautaire. La CE a des mécanismes financiers très semblables à notre système de péréquation financière. En outre, dès que le Traité de Maastricht sera ratifié, de nouveaux instruments de représentation régionale seront mis sur pied dans un cadre institutionnel.40
Les cantons frontaliers suisses se sont également prononcés en partie pour une coopération régionale transfrontalière.41 Dans l’intérêt du maintien de l’équilibre interne du pays, le Conseil fédéral estime qu’il faut se tenir à une politique d’intégration unifiée, sans pour autant négliger les désirs des cantons frontaliers ou porter préjudice à ces cantons et aux autres. Les cantons restent par ailleurs libres de conclure des accords régionaux dans le cadre des articles 9 et 10 de la Constitution fédérale.42 La question de la marge de manœuvre des cantons et la possibilité de collaboration transfrontalière devront de toute manière être encore examinées. C’est pour nous la meilleure façon de garantir la vivacité de notre fédéralisme et l’autonomie de nos communes, tout en nous donnant la possibilité de nous engager, de participer au développement européen.
(Ce thème sera traité par le CF Koller)43
La collaboration entre la Confédération et les cantons s’est renforcée sur tous les plans et a fait ses preuves lors des négociations EEE. Suite au rejet de l’EEE, c’est la ferme volonté du Conseil fédéral que de poursuivre la coopération instaurée entre la Confédération et les gouvernements cantonaux. La poursuite de cette collaboration se ferait dans l’esprit de l’article 21 des dispositions transitoires de la Constitution fédérale inclus dans l’arrêté fédéral sur l’EEE.44 Le groupe de contact des cantons constitue à cet égard un cadre de discussion privilégié.45 Nous considérons en outre que les eurodélégués, qui jouent un rôle important dans le domaine de l’eurocompatibilité des législations cantonales, demeureront des interlocuteurs irremplaçables.
De plus, les cantons désirent créer une «Conférence des cantons». Cet instrument règlerait avant tout la coordination horizontale entre les cantons. Le Conseil fédéral serait, dans une forme ou dans une autre, associé à cette nouvelle structure fédéraliste.46
Le Conseil fédéral est tout à fait acquis à l’idée de développer les instruments existants de collaboration et d’en créer de nouveaux. Il va de soi que les cantons sont libres de s’organiser en ce sens. Les discussions de part et d’autre devraient se dérouler d’une manière pragmatique. En tous les cas, une cohésion interne et le développement de nos instruments fédéralistes contribueront à élargir notre marge de manœuvre sur le plan international. Cette évolution est souhaitable.
Après le non de la Suisse à l’EEE, le Conseil fédéral veut promouvoir au mieux les intérêts suisses en matière d’intégration et atténuer les désavantages d’une non-participation de la Suisse à l’EEE. À partir de là, toutes les options restent ouvertes. S’appuyant sur les relations bilatérales existantes, les négociations bilatérales avec la CE sont actuellement au premier plan. Il s’agit là cependant d’un ordre provisoire des priorités. Fondamentalement, le Conseil fédéral ne considère pas la voie en solitaire de la Suisse comme une option de la politique d’intégration.
Le développement futur de la politique d’intégration suisse sera marqué par une politique étrangère active.47 Pour ce faire, le Conseil fédéral estime important de porter une attention particulière aux conditions internes et externes. Au niveau fédéral, les conditions cadres économiques doivent être améliorées et il est indiqué d’adapter le droit suisse à l’évolution du droit européen de nos voisins.
La poursuite de la collaboration entre Confédération et cantons va permettre d’approfondir la bonne expérience faite lors des négociations sur l’EEE. En ce sens, les instruments existants, comme le groupe de contact pourront être complétés par de nouveaux mécanismes de coordination européenne. L’objectif du Conseil fédéral est le suivant: développer l’esprit de collaboration et de consultation, en vue de disposer d’une large marge de manœuvre sur la scène internationale.