dodis.ch/7301
Réponse du Chef du Département politique, M. Petitpierre, devant le Conseil national à l’interpellation de M. Eggenberger12

Petitpierre, président de la Confédération: Je tiens tout d’abord à remercier M. Eggenberger du ton modéré et de l’objectivité avec lesquels il a développé son interpellation3. J’essaierai d’expliquer brièvement comment le Conseil fédéral envisage le problème qui en fait l’objet.

En août 1945, Léopold III, roi des Belges, a fait demander au Département politique s’il pourrait entrer en Suisse avec sa famille pour y séjourner provisoirement dans les environs de Genève4.

Le Gouvernement belge, consulté, a fait savoir qu’il ne voyait aucun inconvénient à ce que le roi vînt s’établir en Suisse5.

Dans sa séance du 28 août 1945, le Conseil fédéral a pris la décision d’autoriser le roi à s’établir près de Genève6, à deux conditions: l’une que les autorités genevoises donneraient leur accord, ce qu’elles ont fait immédiatement7; l’autre, que le roi s’abstiendrait de toute activité politique sur le territoire de la Confédération. Le Conseil fédéral se réservait en outre de revenir sur sa décision au cas où les circonstances viendraient à se modifier.

Léopold III n’a jamais demandé à bénéficier du droit d’asile et n’avait aucune raison de le faire. En effet, lorsqu’il a sollicité l’autorisation de s’établir en Suisse, il était toujours le chef de l’Etat belge. La loi belge de 1945 – à laquelle M. Eggenberger a fait allusion – constate son empêchement de régner, mais n’a pas modifié le caractère juridique de sa personne royale. Le roi conservait donc tous ses privilèges.

Le droit d’asile tel qu’il s’entend en droit international ou tel qu’il est défini dans les commentaires sur la Constitution fédérale, ne s’appliquait pas à sa personne. En effet, il ne concerne que ceux qui, en raison de leurs convictions politiques ou religieuses, ont dû quitter leur pays, ne peuvent sans danger y retourner et cherchent un refuge ailleurs.

Je pense donc que les considérations sur le droit d’asile auxquelles s’est livré tout à l’heure l’interpellateur, si intéressantes qu’elles aient été, n’étaient pas à leur place dans le cas particulier, étant donné que le roi Léopold ne peut être considéré et traité comme un réfugié.

La détermination du statut en Suisse de Léopold III, de sa famille et de sa suite ne ressortit pas non plus à la réglementation sur le séjour et l’établissement des étrangers en général. Le roi Léopold III ne peut pas être considéré comme un simple particulier. Ce sont certains principes du droit des gens qui sont applicables8, étant donnée la qualité de souverain et de chef d’Etat du roi des Belges. C’est la raison pour laquelle il appartenait au Conseil fédéral, pouvoir exécutif, et non pas à une autorité administrative, d’examiner et de régler la question de l’entrée et du séjour du roi dans notre pays.

En somme, la seule question qui se pose aujourd’hui est celle de savoir si la deuxième condition posée par le Conseil fédéral, à savoir l’abstention de toute activité politique, a été observée.

Pendant son séjour en Suisse, Léopold III a eu des contacts, à de nombreuses reprises, avec des hommes politiques de son pays, notamment avec des membres du Gouvernement belge et des personnalités dirigeantes des principaux partis politiques9. Cette activité, dont le caractère politique n’est pas contestable, bien qu’elle ait été limitée presque exclusivement à des contacts personnels, recherchés semble-t-il plus par les membres du Gouvernement et des partis politiques belges que par le roi lui-même, n’était dirigée ni contre le Gouvernement, ni contre le régime et les institutions de la Belgique. Au contraire, elle tendait au règlement d’une question importante pour ce pays, à laquelle non seulement le roi, mais le gouvernement, le parlement et le peuple belges sont vivement intéressés.

Il faut souligner en particulier que le problème qui divise aujourd’hui la Belgique n’est pas celui de savoir si ce pays doit maintenir son régime monarchique actuel ou créer un régime républicain. Il n’y a pas de divergences entre les principaux partis politiques sur ce point.

En n’élevant aucune objection contre les entretiens qui ont eu lieu à Pregny, le Conseil fédéral savait qu’il ne s’exposait à aucune critique de la part des autorités belges. C’est au contraire en s’opposant à ces entretiens que le Conseil fédéral aurait pu encourir le reproche qu’il prenait parti en faisant obstacle à ce qu’une question primordiale intéressant un pays ami pût faire l’objet d’une discussion en vue d’une solution amiable. Le Conseil fédéral aurait pu aliéner ainsi les sympathies que peuvent avoir pour la Suisse, non seulement le souverain, mais encore les autorités et le peuple d’un pays avec lequel nous avons toujours entretenu les relations les plus courtoises et les plus amicales.

La condition posée à l’époque par le Conseil fédéral devait nécessairement être formulée en termes généraux. Au moment où elle a été posée, on ignorait quel développement prendrait la question royale en Belgique. Il n’eût donc pas été possible, à ce moment-là, de formuler des précisions. Mais il va de soi que cette condition visait avant tout une activité préjudiciable à notre pays, ou de nature à compromettre nos relations soit avec la Belgique, son gouvernement ou son peuple, soit encore avec un autre pays.

M. Eggenberger a fait allusion aux risques qu’il y avait à ce qu’un précédent fût créé par le comportement actuel du roi des Belges dans notre pays. On peut affirmer que la situation de ce souverain est tout à fait particulière, voire exceptionnelle. Le Conseil fédéral garde d’ailleurs l’entière liberté de régler comme il l’entend d’autres cas de même nature qui pourraient se présenter.

L’opinion du Conseil fédéral est que le roi Léopold III n’a pas eu chez nous une activité critiquable, et qu’il n’a pas enfreint les conditions auxquelles son séjour en Suisse a été subordonné. Il n’y a donc aucun changement à apporter au statut actuel auquel le roi des Belges a été et doit rester soumis tant qu’il demeurera dans notre pays10.

1
La plupart des réponses aux interventions parlementaires ne sont pas publiées dans le bulletin sténographique mais dans les procès-verbaux du Conseil national (E 1301(-)) et du Conseil des Etats (E 1401(-)). N’ont été retenus dans le bulletin sténographique que les réponses du Conseil fédéral aux objets soumis au referendum obligatoire et celles qui ont fait l’objet d’une décision explicite de publication dans le bulletin sténographique.
2
E 1301(-)-/I/397, S. 539–542.
3
Pour l’interpellation de M. Eggenberger du 24 mars et son traitement, cf. PV CN du 14 juin 1950, E 1301(-)-/ I/397, pp. 533–539.
4
Cf. la notice de W. Stucki du 23 août 1945, E 2001(E)1967/113/383.
5
Cf. la lettre de M. de Stoutz à W. Stucki du 23 août 1945, ibid. Cf. aussi E 2200.44(-)-/3/1.
6
Cf. PVCF No 2088 du 28 août 1945, E 1004.1(-)-/1/460 (dodis.ch/8834).
7
Cf. la lettre de P. Balmer à P. Baechtold du 10 septembre 1945, E 2001(E)1967/113/383.
8
Cf. les références à différents spécialistes de droit international public indiquées sur le projet de réponse à l’interpellation du 9 juin 1950. Ibid.
9
Cf. par exemple la lettre d’E. Lardy à A. Zehnder du 11 avril 1949, ibid. (dodis.ch/7541).
10
Léopold III rentre en Belgique le 22 juillet 1950. Cf. aussi E 2200.44(-)1969/166/12.