dodis.ch/9094
Notice du Chef du Département politique, M. Petitpierre1

ENTRETIEN AVEC MISS WILLIS, AMBASSADEUR DES ETATS-UNIS, LE MERCREDI 30 JUIN 1954, À 17 H. 30

J’ai prié Miss Willis de venir me voir. Je lui ai exposé que, suivant une information parue dans la presse, le Gouvernement américain avait l’intention d’envoyer dans différents pays d’Europe, parmi lesquels la Suisse, une commission pour enquêter sur les fonctionnaires américains d’organisations internationales2. Cette enquête a lieu dans le cadre de la lutte entreprise par les autorités américaines contre le communisme. J’ai rappelé à Miss Willis que nous avions déjà eu l’occasion de faire connaître notre point de vue et je lui ai confirmé les raisons juridiques et politiques qui engageaient le Conseil fédéral à s’opposer à la présence et à l’activité de telles commissions sur territoire suisse. Cette activité a un caractère, non seulement administratif, mais judiciaire, et porterait atteinte à notre souveraineté. Par ailleurs, nous ne voulons pas créer un précédent. Un jour, un gouvernement communiste pourrait envoyer chez nous une commission pour enquêter sur les sentiments anticommunistes de ses fonctionnaires auprès d’organisations internationales. J’ai dit à Miss Willis que je ne lui remettais ni note ni aide-mémoire et que je ne chargerais pas notre Légation de faire une démarche auprès du Département d’Etat, et enfin que j’espérais que cette affaire pourrait se liquider le plus simplement possible. J’ai encore relevé que les autorités suisses ne discutaient pas la légitimité de semblables enquêtes, mais que celles-ci devraient être faites sans l’envoi d’une commission en Suisse.

Miss Willis m’a répondu en exposant le point de vue américain et en soulignant, en particulier, que les fonctionnaires visés étaient libres de répondre ou de ne pas répondre à la convocation qui leur était adressée. Elle m’a déclaré qu’elle télégraphierait immédiatement au Département d’Etat pour lui faire part de notre entretien.

Cette question réglée, Miss Willis m’a parlé de l’affaire du Guatemala3. Elle m’a dit que les Etats-Unis avaient mauvaise presse à ce propos. Elle a fait allusion aux communications adressées au Conseil fédéral par le Gouvernement guatémaltèque4 et se demandait quelle serait la réaction des autorités suisses. J’ai répondu à Miss Willis que le Conseil fédéral n’avait aucune raison d’intervenir dans cette affaire, la Suisse n’étant pas membre des Nations Unies ni représentée au Conseil de sécurité. Nous n’avions pas l’intention de répondre aux communications qui nous avaient été faites, le Gouvernement guatémaltèque qui nous les avait adressées ayant d’ailleurs été remplacé entre temps par un nouveau gouvernement. A propos des critiques émises à l’égard des Etats-Unis, j’ai répondu qu’on voyait une contradiction entre les deux attitudes prises par la Délégation américaine auprès des Nations Unies sur la requête de la Thaïlande qui avait été en principe admise, bien que ce pays ne se fût plaint que d’une menace, et dans l’affaire du Guatemala où la plainte avait été rejetée, bien que ce pays eût été l’objet d’une agression et envahi. Miss Willis m’a dit que le point de vue de son Gouvernement était que l’affaire du Guatemala devait être réglée dans le cadre de l’organisation régionale panaméricaine5, de telles organisations internationales étant d’ailleurs admises par la Charte des Nations Unies.

Au cours de la conversation, j’ai encore souligné d’une manière tout à fait générale que, si le communisme s’était développé dans certains continents: Amérique, Asie, Afrique, c’est que les Blancs qui s’étaient installés dans ces pays en avaient tiré des richesses et exploité la population sans chercher à élever le niveau de vie de celle-ci, et qu’il y avait peut-être là la source des difficultés qui opposaient les Blancs et les Occidentaux aux autres races.

A la fin de l’entretien, Miss Willis m’a encore dit qu’à son avis, il ne devait pas y avoir de difficultés entre la Suisse et les Etats-Unis, les deux pays étant attachés aux mêmes principes fondamentaux.

1
E 2800(-)1990/106/20.
2
Cf. aussi DDS, vol. 19, doc. 45. Cf. aussi la lettre de K. Bruggmann à la Division des Organisations internationales du DPF du 8 décembre 1953, E 2210.5(-)1970/17/9 (dodis.ch/9092).
3
Cf. le DDS, vol. 19, doc. 112, ainsi que la lettre de A. Lindt à A. Zehnder du 22 juin 1954, E 2001(E)1970/217/302 (dodis.ch/9380) et la lettre de R. Fischer à A. Zehnder du 27 mai 1954, ibid. (dodis.ch/9384).
4
Ibid.
5
Sur le rôle de l’Organisationdes Etats américains dans l’affaire du Guatemala, cf. la lettre de M. Fumasoli à M. Petitpierre du 23 mars 1954, E 2300(-)-/9001/99 (dodis.ch/9379).