dodis.ch/9158
Rapport de la Division du commerce du Département de l’Economie publique à la Délégation permanente pour les négociations économiques avec l’étranger1

ECHANGES AVEC LE BRÉSIL

Le 10 octobre 1952 j’ai eu l’honneur de vous exposer l’état de nos échanges avec le Brésil2. Le 21 novembre vous avez décidé de maintenir une attitude d’expectative faute de moyens propres à remédier au déséquilibre des paiements3.

I. Evolution du commerce extérieur brésilien.

Depuis lors l’état du commerce extérieur brésilien a encore empiré. La dette commerciale extérieure est de près d’un milliard de dollars, contre environ 500 millions en octobre 1952.

Le Gouvernement brésilien a institué en janvier un marché libre du cruzeiro dont il ne semble pas que l’on puisse attendre un redressement rapide de la situation. Il vient de signer avec l’Argentine un arrangement4 par lequel il s’assure pour 4 ans la fourniture de 1,5 millions de tonnes de blé par an. Ce sont là, à notre connaissance, les deux seuls faits récents de nature à atténuer dans un avenir assez lointain, en corrélation avec les restrictions draconiennes de l’importation, la pénurie de devises au Brésil.

L’Allemagne et l’Italie continuent à s’assurer une exportation courante et le transfert des arriérés par une importation accrue (avec ajustement de prix en Allemagne).

Les Etats-Unis, après de longues négociations, viennent d’accorder au Brésil un crédit de $ 300 mio uniquement réservés au règlement des arriérés commerciaux américains actuels. (L’introduction du marché libre du cruzeiro semble être la conséquence directe de ces négociations. – Le crédit est remboursable en 3 ans et porte intérêt à 3 1/2%).

L’octroi de permis d’importer des produits suisses au Brésil est suspendu depuis le début de 1952, sauf pour quelques rares machines et installations essentielles pour l’économie brésilienne qui sont livrées contre paiements échelonnés sur 3 ans, 5 ans ou plus. Selon la statistique suisse notre exportation, basée sur d’anciens permis, est en très forte régression. Au rythme actuel, elle n’atteindra que 80 millions de francs cette année, contre 150 en moyenne de 1947 à 1952 (1951: 204 millions).

A fin décembre 1952 l’engagement de la Confédération pour les affaires Brésil[sic] était de FS 102 mio représentant des affaires au montant de FS 175,5 mio5. La répartition en est la suivante:

[...]6

Les délais de transfert pour le franc suisse sont aujourd’hui 12 1/2 à 18 mois, selon les catégories établies «par ordre de nécessité». Pendant la crise brésilienne de devises de 1948/50 ils avaient atteint 10 à 18 mois. Pour le moment, rien ne permet de prévoir un redressement; les délais de paiement continuent à s’allonger.

II. Projet pour améliorer les échanges avec la Suisse.

Le 27 mars, M. S. Schweizer, Directeur Général de la Société de Banque Suisse, est venu avec M. Seiler, son représentant à Rio de Janeiro, nous renseigner sur les conversations que M. Seiler a eues au Banco do Brasil la veille de son départ et nous en remettre le compte rendu ci-joint7 qui se résume à ceci:

1. Le Brésil ne peut pas utiliser le crédit américain pour régler les arriérés commerciaux suisses. Il serait maintenant sur le point de dissocier les comptes en dollars et ceux en francs suisses, confondus jusqu’à ce jour dans une même masse. Nous perdrions ainsi le bénéfice du règlement de nos exportations et des arriérés au moyen de dollars8. L’importation de produits suisses et le règlement des arriérés seraient limités au niveau des recettes du Brésil en francs suisses. Ces recettes étant minimes du fait que la majeure partie de nos achats se fait par voie indirecte, les conséquences de cette décision imminente seraient très graves.

Très bien disposé à l’égard de la Suisse, toujours selon M. Seiler, le Banco do Brasil n’entend pas priver la Suisse du bénéfice de paiements en dollars quand les entrées courantes en dollars le permettront. Mais la situation serait actuellement telle que «le Brésil sera contraint d’insister pour l’établissement d’un clearing avec la Suisse».

2. Le chef de l’Office des changes du Banco do Brasil9 a questionné M. Seiler sur la possibilité d’obtenir en Suisse un crédit d’environ 20 millions de dollars, remboursable dans un délai de 3 ou 5 ans10. Ce crédit servirait uniquement au paiement des arriérés suisses, estimés à environs FS 80 mio par le Banco do Brasil.

3. Sans nous en avoir jamais informé, la maison André & Cie. à Lausanne aurait fait à plusieurs reprises au Banco do Brasil des propositions pour la liquidation de l’ensemble des arriérés suisses. Elle offrait d’acheter et revendre aux importateurs «traditionnels» les quantités de café nécessaire pour débloquer les créances suisses. En contre-partie, les créanciers suisses intéressés auraient dû sacrifier 15% de leurs créances, cette différence correspondant à la prime nécessaire pour l’achat direct.

Toujours selon M. Seiler, il serait grand temps de faire quelque chose.

Questionné par nous sur la forme du crédit auquel pense le Banco do Brasil, M. Seiler a déclaré qu’il pourrait se faire sous forme d’emprunt émis en Suisse. M. Schweizer se demande personnellement s’il ne pourrait pas être souscrit en majeure partie par les principaux créanciers commerciaux, sans exclure une participation des banques suisses.

Il estime toutefois qu’un tel crédit ne saurait être envisagé que si la Confédération en assumerait la garantie. A son avis, la Confédération pourrait donner cette garantie sans prendre à sa charge un risque additionnel très important, puisqu’elle assume déjà, pour la grande partie des arriérés, la garantie des risques à l’exportation. Enfin, M. Schweizer estime que le remboursement du crédit par le Brésil devrait être échelonné sur 5 ans et non sur 3 ans, délai qu’il estime trop court dans le cas du crédit des USA.

III. Problème actuel.

1. La crise brésilienne ayant atteint un haut degré d’acuité, il semble que la «position suisse» soit actuellement l’objet d’une attention spéciale au Brésil: la Légation nous a déjà signalé la séparation probable des comptes dollars et francs suisses, même au marché libre. En outre, le Banco do Brasil lui a demandé de le renseigner sur le montant des arriérés suisses. Avant même la visite de M. Seiler, la Légation de Belgique a été chargée par Bruxelles de vérifier l’exactitude de l’information suivante reçue de Rio de Janeiro: «La Suisse se préparerait à suivre l’exemple des EUA et à consolider sa créance commerciale sur le Brésil, le ducroire (?) intervenant à 65%.»

2. Nous constatons que le Banco do Brasil a recouru aux bons offices de M. Seiler pour faire un premier sondage officieux en Suisse. En effet, la Légation à Rio ne sait encore rien de cette initiative et M. Seiler, convoqué par le Banco do Brasil la veille de son départ, n’a pas pu tenir M. le Ministre Feer au courant. Cette initiative du Banco do Brasil paraît cependant faite en accord avec le ministre des Finances, puisque M. Seiler fut invité à aller demander confirmation du point de vue brésilien à Monsieur Lafer, ministre des Finances. M. Seiler doit rencontrer M. Lafer en rentrant à Rio; il a retardé son départ de Suisse jusqu’au 11 avril pour connaître votre réaction.

3. Nous constatons que volens nolens le Brésil doit

a) utiliser les $ 300 mio de l’Eximbank uniquement pour le paiement des arriérés américains;

b) utiliser ses ressources courantes en $ US pour assurer d’abord le paiement des prestations courantes aux USA, – l’excédent seul pouvant servir au règlement des autres arriérés et des autres prestations courantes payables en dollars ou francs suisses.

c) en ce qui concerne la Suisse, non seulement allonger les délais de paiement faute de moyens, suspendre l’octroi de permis d’importer, – mais encore envisager l’introduction d’un clearing pour régler les arriérés et équilibrer les échanges. Comme première mesure destinée à lui procurer plus de francs suisses, le Brésil va apparemment mettre fin aux achats suisses de café par des pays tiers.

4. Ce n’est pas la première manifestation brésilienne de ce genre à notre égard, mais c’est certainement la première fois que les autorités brésiliennes nous placent aussi nettement devant l’alternative ou bien de contribuer à redresser le déséquilibre des échanges ou bien de faire face à une situation très préjudiciable à nos intérêts. Jusqu’ici, nous avons pu repousser le problème par des moyens dilatoires. Il faut sérieusement se demander si le moment n’est pas venu d’entrer en matière, ou au moins d’examiner sous quelles conditions préalables nous pourrions envisager d’entrer en matière.

5. La somme des arriérés commerciaux suisses ne pourrait être connue qu’après enquête, – enquête qu’il vous a paru jusqu’ici préférable de ne pas ordonner.

Faute de données, une estimation même approximative du total des arriérés suisses est très sujette à caution. A titre d’indication, nous notons que depuis les dernières autorisations de transfert données par le Banco do Brasil en mars 1952, nos statistiques indiquent environ FS 120 mio d’exportations à ce jour. En considérant ce montant simplement comme une indication d’ordre de grandeur, il faut songer qu’il s’y ajoute des paiements échelonnés pour des livraisons faites avant ou à faire après cette période de 12 mois, des frais accessoires, des invisibles, etc.; il en faudrait déduire les paiements partiels déjà intervenus, la contre-valeur des produits exportés sans permis brésiliens (p. ex. des montres et des textiles), la contre-valeur des rares importations faites directement du Brésil, etc. Ces dernières observations soulignent assez le caractère hasardé d’une estimation. A première vue, le montant de $ 20 mio mentionné par le Banco do Brasil ne paraît nullement excessif.

6. L’octroi d’un crédit suffisant au règlement des arriérés ne saurait prétendre remédier définitivement au déséquilibre des paiements, même accompagné de mesures assurant l’importation directe en Suisse des produits brésiliens, si l’on envisage de maintenir l’ordre de grandeur et la structure des exportations suisses au Brésil depuis la guerre. La contre-valeur des importations directes, qui diminuerait sensiblement sous un régime de contrainte, ne dépasserait probablement guère le montant des remboursements annuels de l’emprunt. On en serait donc réduit à tabler sur l’excédent très hypothétique de dollars dont disposerait bon an mal an le Brésil.

7. En admettant que nos intérêts justifient néanmoins l’idée d’un crédit au Brésil, il conviendrait de recevoir de Rio un minimum d’assurances quant au traitement qui serait fait dorénavant au règlement de nos prestations. Ainsi par exemple, obtenir (pour ce qu’elle pourrait valoir) l’assurance d’un traitement non moins favorable que celui fait aux USA soit pour l’octroi des permis d’importer, soit pour le règlement des paiements courants une fois les arriérés liquidés.

La garantie qui serait demandée à la Confédération exigerait évidemment un examen très approfondi. A première vue, elle constituerait pour le «Bund»11 une charge additionnelle bien plus importante que ne paraît l’imaginer M. le Directeur Général Schweizer. En effet, elle dépasserait largement l’actuelle garantie des risques à l’exportation, puisque le montant articulé de $ 20 mio ne couvrirait que la petite partie de la garantie des risques à l’exportation comprise dans les seuls arriérés. Ceci, sans commenter les risques inhérents au remboursement du crédit par le Brésil.

A ne manifester aucune réaction au sondage fait par l’intermédiaire de M. Seiler, nous risquons de précipiter des décisions préjudiciables à nos intérêts. C’est pourquoi je me permets de vous suggérer de convoquer M. Seiler (qui quittera la Suisse le 11 avril) pour entendre ses déclarations et lui faire comprendre votre manière de voir avant qu’il reprenne contact avec les autorités brésiliennes12.

1
Rapport: E 2001(E)1969/121/359. Ce rapport, signé par P.- H. Aubaret, est adressé à H. Homberger, J. Hotz et A. Zehnder.
2
Cf. la lettre de P.- H. Aubaret à J. Hotz, A. Zehnder et H. Homberger du 10 octobre 1952, non reproduite.
3
Cf. le compte rendu Sitzung der Ständigen Verhandlungsdelegation vom 21. November 1952 betreffend Brasilien und Uruguay d’A. Matter du 22 novembre 1952, non reproduit.
4
Il s’agit de l’accord argentino-brésilien du 23 mars 1953. Sur cet accord, cf. E 7110(-) 1967/32/671.
5
Il s’agit de garanties à l’exportation accordées par la Confédération. Sur cette question, cf. le rapport intermédiaire du Secrétariat pour la garantie contre les risques à l’exportation à la Commission pour la garantie contre les risques à l’exportation du 30 juin 1953, E 7110 (-) 1967/32/41.
6
Für die Tabelle vgl. dodis.ch/9158. Pour le tableau, cf. dodis.ch/9158. For the table, cf. dodis.ch/9158. Per la tabella, cf. dodis.ch/9158.
7
Non reproduit.
8
Sur le règlement en dollars des exportations suisses au Brésil, cf. la lettre d’E. Feer à J. Hotz du 10 octobre 1952, non reproduite (dodis.ch/9157).
9
F. Cadaval.
10
Sur la démarche de la Banque nationale du Brésil, cf. la lettre d’E. Feer à H. Homberger du 6 mai 1953, non reproduite (dodis.ch/9159).
11
La Confédération. Dans ce cas, il s’agit des finances fédérales.
12
Th. Seiler est reçu par J. Hotz le 8 avril 1953. Sur cet entretien, cf. la lettre de P.- H. Aubaret à E. Feer du 13 avril 1953, E 7110(-)1967/32/760.