dodis.ch/9433
L’Attaché de la Légation de Suisse à Tel-Aviv, P. Cuénoud, au Chef de la Division du Commerce du Département de l’Economie publique, J. Hotz1

Confidentielle

Pour faire suite à ma lettre du 16 de ce mois2, j’ai l’honneur de vous faire savoir que M. Bartur, Chef de la Division économique du Ministère des Affaires étrangères, m’a dépêché, cette semaine, à Tel-Aviv, celui de ses adjoints s’occupant du secteur suisse, M. Yanai, pour me confirmer ses intentions au sujet de la conclusion d’un accord commercial avec notre pays3.

Au cours de notre entretien, mon interlocuteur m’a déclaré qu’il déplorait que les exportations suisses à destination d’Israël aient baissé cette année aussi sensiblement, mais que le gouvernement israélien était contraint de n’acheter que dans les pays avec lesquels il est lié par un traité de commerce ou qui sont eux-mêmes des preneurs importants de produits israéliens. Il a ajouté qu’il craignait que la Suisse n’ait à pâtir de cette situation.

Après avoir souligné l’importance des crédits consentis par divers milieux suisses, des investissements suisses, la compréhension de nos autorités pour les problèmes de ce jeune Etat, j’ai relevé, entre autre, que la légation avait été également surprise que le Gouvernement israélien n’ait pas donné son consentement à l’importation de certains produits suisses, en particulier les spécialités pharmaceutiques, la Suisse étant ici un fournisseur connu et apprécié depuis de nombreuses années, ou les livres; que cette attitude n’était guère encourageante et que nous nous attendions à plus de compréhension.

M. Yanai a précisé que si les autorités suisses ne voyaient pas la possibilité de conclure un accord, il serait toutefois souhaitable de s’entendre d’une manière ou d’une autre afin de développer les relations économiques entre nos deux pays.

Si l’an dernier, le montant de nos exportations a été satisfaisant (36 millions), les chiffres pour les 6 premiers mois de cette année sont notablement plus faibles (10 1/2 millions). Les livraisons de produits israéliens ont par contre augmenté sensiblement, puisqu’ils sont pour le 1er semestre 1954 de FS 5’180’000.–, contre FS 5’250’000.– pour l’année 1953 entière. Cela est dû à l’augmentation de nos importations d’agrumes (FS 3’200’000.– pour mars, avril et mai 1954, contre FS 1’600’000.– pour les mêmes mois de l’année 1953). Les agrumes occupent donc une place prépondérante dans nos relations commerciales avec Israël. De l’avis des experts, la récolte de la saison prochaine sera médiocre; de surcroît, les exportateurs israéliens auront à subir en 1955 la concurrence espagnole. La situation n’est donc pas très favorable sur le plan des exportations israéliennes.

En ce qui concerne nos exportations à destination de ce pays, l’accord des réparations avec l’Allemagne constituera toujours un obstacle majeur, particulièrement pour ce qui a trait à nos machines et à notre équipement industriel et électrique. La France, pourtant liée à Israël par un accord commercial, en a ressenti les effets de nombreuses fois (fourniture de matériel ferroviaire).

La situation économique et financière d’Israël est toujours mauvaise; il est encore dépendant dans une très forte mesure de l’aide de l’étranger (Etats-Unis, ONU et, principalement, communautés juives de la Diaspora).

Le Moyen-Orient ne connaît pas encore la paix et rien n’indique qu’elle soit proche. L’attitude des pays arabes n’a pas varié; l’hostilité subsiste.

Sans être pessimiste, je pense qu’avec ou sans traité, nous devons compter, comme tous les autres fournisseurs d’Israël, avec une baisse de nos exportations. Ce pays est trop jeune, a pour l’instant de trop graves préoccupations politiques pour songer à une politique économique à longue échéance et, partant, se constituer des fournisseurs et des clients pour l’avenir. Le commerce d’Israël, et cela est symptomatique, est presque entièrement axé sur des pays pauvres en monnaie forte ou débiteurs dans le cadre de l’UEP (Grande-Bretagne, Turquie, Finlande, Norvège, France, Italie).

J’ajoute que, d’une manière générale, les prix israéliens sont plus élevés que les prix mondiaux; cela est dû, en partie, à son manque de matières premières et au rendement assez faible de sa main-d’œuvre industrielle. N’oublions pas qu’il s’agit d’un pays gouverné par une majorité socialiste qui a imposé, dès la fondation de l’Etat, une politique sociale coûteuse, sans avoir eu le bénéfice de quelques siècles de «travail bon marché».

Israël entend certainement, par un accord de commerce et un accord de paiement, pouvoir surveiller, mieux que par le passé, les importations venant directement ou indirectement de notre pays. Je l’ai entendu dire par plusieurs de mes interlocuteurs du Ministère des Affaires étrangères. Cette tendance ne me paraît pas propre à développer le commerce entre nos deux pays.

Les débouchés naturels d’Israël sont les pays arabes, la Turquie, peut-être une partie du continent africain. Seuls ces pays, insuffisamment développés, peuvent absorber les produits industriels israéliens, dont la qualité ne saurait généralement convenir à un pays européen. Israël est un Etat médio-oriental; sa population, qui tend à se stabiliser aux environs de 1’700’000 âmes, va certainement devenir levantine sous l’influence du climat et des peuples qui l’entourent. Je ne pense pas qu’il restera une marche de l’Europe dans le Moyen-Orient.

En conclusion, il ne me semble pas que pour l’instant, un accord commercial avec Israël soit de nature à fortifier notre position ici. Pour mon compte, j’y vois plus d’inconvénients que d’avantages4.

Je vous saurais gré de bien vouloir me faire tenir vos instructions5.

1
Lettre: E 7110(-)1967/ 32/1202.
2
Non reproduite.
3
Annotation en marge d’E. Stopper: scheint mir auch.
4
Annotation en marge d’E. Stopper: d’accord.
5
Cf. la lettre de la Division du Commerce du Département de l’Economie publique, signée par F. Halm, à P. Cuénoud du 24 août 1954, non reproduite.